Révélations. Sonatrach : Comment la mauvaise gestion de l’AEC a aggravé la pénurie de l’eau potable en Algérie

Au moment où l’Algérie est confrontée à l’une des pénuries de l’eau potable les plus complexes et dangereuses de ses 20 dernières années, une filiale stratégique de Sonatrach est abandonnée à l’anarchie et la mauvaise gestion paralysant ainsi des projets névralgiques qui portent un énorme préjudice au renforcement des capacités nationales concernant la distribution de l’eau potable. Révélations.

Cette filiale de Sonatrach s’appelle Algerian Energy Company,Spa ( AEC ). Une entreprise publique, lancée en 2001 par Sonatrach et Sonelgaz à parts égales, et qui depuis 2019, appartient exclusivement à Sonatrach. L’AEC a un rôle stratégique et majeur dans le développement des projets censés renforcer l’alimentation des villes algériennes en eau potable. En juillet 2020, le gouvernement algérien comptait généraliser l’alimentation des villes situées à moins de 100 km du littoral à partir d’usines de dessalement d’eau de mer.

A cette fin, un plan de développement des stations de dessalement à l’horizon 2030 va être élaboré par le gouvernement. Les autorités algériennes ont déjà lancé des appels d’offres pour la construction de 4 usines de dessalement d’eau de mer à Fouka (banlieue ouest d’Alger), Bejaïa, Skikda et Tarf. Monsieur Berraki a d’ailleurs indiqué que dans le cadre du futur plan de développement une station supplémentaire sera prévue en périphérie, à l’est d’Alger. Mais, malheureusement, ce plan de développement ne verra jamais le jour. Pis encore, il sera gelé à cause de la crise financière paralysant l’Algérie et les problèmes internes au sein de… l’AEC.

Ces problèmes ont commencé à partir du moment où le PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, s’empare de l’AEC pour la confier à l’un de ses proches, comme l’avait révélé Algérie Part lors d’une enquête approfondie parue au début du mois de juin 2020. Lors de cette enquête, nous avions révélé les dessous de la machination ayant permis à Toufik Hakkar de nommer à la tête de l’AEC, Abdennour Kimouche, un cadre de l’aval et un de ses intimes amis, sans suivre la procédure réglementaire.

Avant la nomination de ce proche de Toufik Hakkar, l’AEC avait déjà lancé deux appels d’offres internationaux pour la construction de deux usines de Dessalement d’Eau de Mer. La première devait voir le jour à Alger Ouest et la deuxième à El-Tarf, à l’est du pays, d’une capacité chacune de 300 millions de M3 /jour. Ces deux projets étaient inscrits par les pouvoirs publics comme projets prioritaires pour les populations et le besoins en eau potable. Les autorités algériennes étaient conscientes de l’importance stratégique de ces projets alors que le pays sera confronté, comme il a été démontré par de nombreuses expertises et études scientifiques, à un risque majeure de stress hydrique à partir de l’été 2021.

L’ouverture de offres financières de ces deux projets était prévue au courant du mois de mars 2020. Un processus de sélection des potentiels constructeurs de ces deux usines étaient en cours depuis plus plus d’une année avant cette date. Mais la crise sanitaire provoquée par la pandémie de la COVID-19 a obligé l’AEC à reporter à deux reprises ces deux projets.

Dés juin 2020, avec l’arrivée du fidèle lieutenant de Toufik Hakkar, KIMOUCHE Abdernour, à la tête de l’AEC, ces deux importants projets seront définitivement bloqués, voire annulés ! Et pour cause, le nouveau PDG de l’AEC prend la décision d’annuler les appels d’offres de deux projets des usines de dessalement d’eau de mer prétextant le coût élevé de ces deux usines, évalué à près d’un milliard de dollars pour chaque usine.

Mais en vérité,  la Sonatrach n’allait dépenser aucun budget colossal puisque les projets de dessalement d’eau de mer sont réalisés en Project Finance,  à savoir des projets autofinancés par un mécanisme bancaire sophistiqué. Il s’agit d’un montage financier qui permet de financer des projets de grande envergure et qui fournissent généralement des services essentiels. Ces financements sont accordés à des entités spécialement créées pour l’occasion. Ce sont des Special Purpose Vehicle, ou SPV. Ces SPV sont autonomes par rapport aux sponsors ou aux autres entités publiques ou privées. La dette mise en place sera remboursée par le cash généré par cette SPV.

Si la situation se dégrade, les prêteurs ne peuvent pas se retourner contre le sponsor ou le constructeur par exemple. C’est pour ça que ce type de financement est dit sans recours (non recourse financing en anglais). On a toutefois des sécurités mises sur les actifs de la SPV. Les prêteurs peuvent éventuellement les saisir et les revendre pour rembourser la dette si nécessaire.

Avec ce montage financier, Sonatrach ne devait dépenser aucun centime à travers sa filiale AEC pour construire ces deux futures usines de dessalement d’eau de mer. En dépit de cet atout précieux, HAKKAR et KIMOUCHE ont mis les études techniques et les dossiers d’appels d’offres dans les tiroirs en attendant l’ouverture des frontières et l’opportunité de lancer des appels d’offres internationaux selon leurs critères déterminés en fonction de leurs intérêts commerciaux purement personnels.

Et pendant ce temps-là, les capacités nationales de l’Algérie en matière de dessalement se réduisent et le besoins des populations augmentent substantiellement ce qui se conjugue aujourd’hui par un rationnement douloureux dans la distribution de l’eau potable et dans un future proche par une pénurie d’eau qui touchera de plein fouet plusieurs villes et agglomérations à travers le pays.

A cela, il faut rajouter que  les stations de dessalement de Souk Tlata et de Magtaa à l’ouest du pays sont à l’arrêt total depuis plus d’une année, à cause de la mauvaise gestion de ces deux stations, de la très mauvaise maintenance des équipements de piètre qualité sans oublier le laisser-aller flagrant de AEC dans la préservation et le sauvegarde des infrastructures de son patrimoine industriel.

Relativement nouvelles, datant de 2011 et 2012, ces deux usines ont couté à l’Algérie plus de 2 milliards de dollars en équipements et installations qui sont aujourd’hui dans un état de corrosion très avancé. Algérie Part avait publié à ce sujet toute une longue enquête que nous vous invitons à relire pour prendre conscience de l’ampleur de ce gâchis.

Dans cette enquête, nous avions expliqué que l’Algérie détient aujourd’hui un nombre de stations de dessalement d’eau de mer et fait partie des pays pionniers dans ce secteur de production de l’énergie et l’eau potable. En effet, l’Algérie compte actuellement 11 stations de dessalement qui produisent 17 % de la quantité totale d’eau potable consommée au niveau national. Les 11 stations ont atteint 2 110 000 m3/jour, soit l’équivalent de 770 M m3/an, ce qui permet de fournir l’eau potable à travers les différentes wilayas du pays.

Ces stations se trouvent dans les wilayas de Chlef, Tlemcen, Alger, Skikda, Mostaganem, Oran, Boumerdès, Tipaza et Aïn Témouchent. En décembre 2019, le ministère des Ressources en eau avait annoncé le lancement prochain d’appel d’offres portant sur la réalisation de 3 nouvelles stations de dessalement. Ces dernières permettront de produire 770 000 m3/jour supplémentaires. Malheureusement, cette ambition est en train d’être gâchée à cause d’un méga-scandale que l’actuelle direction générale de Sonatrach veut à tout prix étouffer.

Au lieu de remédier rapidement à ces problèmes structurels, l’actuel PDG de Sonatrach va encore les aggraver en imposant une gestion clanique basée sur le mercantilisme et l’amateurisme. Pis encore, le 24 et 25 mai dernier, la direction Sonatrach sous l’impulsion de Toufik Hakkar a décidé  de célébrer à Oran en grande pompe et le 20e anniversaire de l’AEC. Une fête somptueuse pour occulter un désastre économique qu’on veut ériger, désormais, en exploit.

En cette période de vache maigre et de pandémie, la direction générale de Sonatrach a organisé cette fête pour convier l’ensemble des cadres dirigeants de Sonatrach ainsi que l’ensemble des autorités civiles et militaires de l’Oranie. L’addition finale a dépassé les 10 milliards de centimes en en frais d’hôtels, billets d’avion, budget de communication et banquets luxueux.  KIMOUCHE Abdernour avait annoncé lors de son allocution à l’occasion de cette fête mondaine que l’AEC s’engageait à fournir aux Algériens l’eau dont il avait tant besoin ! un discours mensonger qui ne reflète guère la réalité du terrain. Des mensonges destinés à camoufler le désastre que ces dirigeants incompétents sont en train de provoquer à l’alimentation en eau potable dans plusieurs régions en Algérie.