19.9 C
Alger
vendredi, avril 26, 2024

Enquête exclusive. ALFAPIPE ou le grand scandale des pipelines en Algérie avec un énorme préjudice financier d’au moins 70 millions de dollars USD

Algérie Part a mené une enquête sur plusieurs volets concernant un nouveau scandale qui ébranle de plein fouet le secteur des hydrocarbures en Algérie. Au coeur de ce scandale : un méga-marché de fournitures des pipelines au profit de Sonatrach par une autre société étatique entièrement méconnue de l’opinion publique en Algérie. Il s’agit de la société ALFAPIPE. Ce méga-marché est évalué à plus de 15 milliards de Da, à savoir l’équivalent de 110 millions de dollars USD. Or, nous avons découvert au cours de nos investigations plusieurs irrégularités et des pratiques illicites qui ont provoqué un préjudice financier d’au moins 10 milliards de Da, soit l’équivalent de 70 millions de dollars USD. Il s’agit d’une véritable dilapidation de deniers publics dont sont coupables plusieurs dirigeants d’un important groupe industriel public, celui du Groupe IMETAL Spa. Enquête exclusive. 

ALFAPIPE est une filiale du groupe IMETAL spécialisée dans la fabrication de tubes en acier soudés en hélicoïdale à l’arc sous flux solide de grade API-5L maxi X80 PSL2 (L555 PSL2), d’une gamme de diamètres comprise entre Ø16’’ (406,4mm) et Ø80’’ (2032mm).et d’épaisseurs variable entre 6.35 mm et 25.4mm, revêtus extérieurement en polyéthylène HDPE tricouches et intérieurement en époxy liquide ou époxy alimentaire. En langage plus accessible au commun des mortels, ALFAPIPE est une société publique spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pipelines destinées au secteur des hydrocarbures et d’hydraulique à l’échelle nationale.

L’une des rares entreprises publiques prospères 

Créée le 6 juillet 2006, elle emploie aujourd’hui près de 1700 employés et elle est considérée comme la plus importante filiale du groupe IMETAL. Ce dernier est un Groupe opérant dans les Industries Métallurgiques et Sidérurgiques. Il est né le 23 février 2015, d’une fusion absorption des Groupes et Entreprises publiques des Ex SGP TRANSOLB Spa (pour la production et transformation sidérurgique) et CONSTRUMET Spa (pour la construction métallique). Il s’avère que la société ALFAPIPE a capitalisé un savoir-faire incontournable dans la fourniture des tubes, ce qui lui a permis de s’approprier au cours de ces dernières années de la quasi-totalité des marchés de fournitures de pipelines lancés par la compagnie nationale des hydrocarbures.

Tous ces marchés sont quasiment accordés par la Sonatrach à ALFAPIPE par le biais de la procédure du gré à gré simple. ALFAPIPE était jusqu’à 2018, l’une des rares sociétés publiques prospères et riches. Le salaire moyen de ses travailleurs tourne autour des 140 mille Da alors que le salaire moyen national en Algérie tourne autour de… 41 000 DA par mois. Riche de plus de 11 milliards de Da de réserves dans ses caisses, soit l’équivalent de 77 millions de dollars USD, ALFAPIPE va s’appauvrir dans des circonstances troublantes dés la nomination de son nouveau PDG, Ait Youcef Mahmoud, à partir de juillet 2018. Récemment, ALFAPIP a enregistré un déficit de 7 milliards de Da, soit l’équivalent de 49 millions de dollars USD.

Réputé pour sa proximité de l’ancien Premier-ministre, Ahmed Ouyahia, ce haut commis de l’Etat est connu aussi pour entretenir de bonnes relations avec de nombreux dirigeants militaires influents comme le général-major Abdelhamid Djouadi ou le général Boukachabia Abdelmalek, d’anciens hauts gradés  de l’institution militaire algérienne. Sous la coupe de Mahmoud Aït Youcef, ALFAPIP va opérer des manoeuvres étonnamment illicites et scandaleusement illégales après avoir bénéficié auprès de la Sonatrach  d’un important marché de fourniture de pipelines évalué au départ à plus de 20 milliards de Da. Mais à la surprise générale de tous les cadres dirigeants d’ALFAPIPE, ce marché a été ramenée par ALFAPIP à 15 milliards de Da alors que l’acquisition de la matière première pour la conception des pipeline exigés par Sonatrach va lui coûter… 19 milliards de Da. A cela, il faut rajouter de nombreux frais relatifs à la réalisation de ce marché qui reviendra à un coût final dépassant… les 25 milliards de Da. Mais après plusieurs rounds de négociations, ALFAPIPE s’est engagée auprès de la Sonatrach à lui fournir tous les pipelines pour… 15 milliards de Da. La société publique algérienne va subir ainsi une perte sèche de… 10 milliards de Da. Pourquoi une telle gestion irresponsable et suicidaire ? Parce que les hauts responsables d’ALFAPIPE et du groupe IMETAL ont orchestré un plan machiavélique consistant à casser leurs prix au bénéfice de Sonatrach dans le seul but… de privilégier un fournisseur étranger d’acier qui est soupçonné aujourd’hui de verser des pots-de-vin aux dirigeants d’ALFAPIPE et le groupe IMETAL. Explications.

Un méga-marché de 15,2 milliards de Da

Le marché obtenu par ALFAPIP concerne un contrat commercial pour la fourniture de 535,4 km de tubes de différents épaisseurs et tailles à SONATRACH. La valeur finale du contrat est effectivement de 15, 2 milliards de Da.  Le contrat contient trois projet :

1. RGZ2 diamètre 40’’ SC4/NADOR –TA/ARZEW
2. ROB1 diamètre 24’’ HEH-SP1 Bis Djamaa
3. ROD1 diamètre 16’’ EL BORMA –MESDAR

Pour réaliser ce contrat, le 03/01/2021 ALFAPIPE a lancé le premier appel d’offres
national et international ouvert (AO/12/2020) pour l’acquisition de 104 735,79 tonnes de bobines d’acier, qui sont la principale matière première pour la production de tubes des projets RGZ2 et ROB1.

Apres l’ouverture des plis et l’évaluation des offres des trois soumissionnaires ont été sélectionnés. Il s’agit du géant ARCELOR Mittal, le plus important producteur d’acier au monde basé au Luxembourg, du fabricant sud-coréen POSCO International et d’un courtier commercial allemand appelé  PRIMEX STEEL TRADING.

Le 19/01/2021, la commission d’ouverture des plis et l’évaluation des offres a proposé le soumissionnaire ARCELOR Mittal, le moins disant, avec un montant total estimé à 11 553 724 319,27 DA.  Cependant, la commission des marchés entreprise le 25/01/2021 a décidé de rejeter l’offre du soumissionnaire ARCELOR Mittal au motif que le montant de l’offre était relativement élevé par rapport à la valeur du contrat commercial conclu entre ALFAPIPE et SONATRACH après avoir reçu un courrier de la part du directeur commercial le jour même.

Après l’annulation du marché par AIT YOUCEF Mahmoud, le DG d’ALFAPIPE,  et le directeur
commercial SABOUR Djamel, un nouvel appel d’offres a été lancé le 04/02/2021 en ajoutant le troisième projet ROD1 avec les mêmes conditions pour la deuxième fois. Le 11/03/2021 la COPEO (commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres) a abouti à ce que le soumissionnaire, ARCELOR Mittal, ait toujours l’offre la moins distante, avec un montant total estimé de 13.126.780.672,70 dinars algériens pour les trois projets. Pour la deuxième fois, la commission des marchés a rejeté l’offre avec le même argument que le rejet du premier appel d’offres, à savoir que le montant de l’offre est élevé par rapport à la valeur du contrat conclu avec Sonatrach.

Et pour la troisième fois, le même appel d’offres a été annoncé avec les mêmes conditions le 30/03/2021, et après l’ouverture des plis et l’évaluation des offres. Le 18/05/2021 la COPEO  a proposé de maintenir:

  1. le projet RGZ2 : pour le soumissionnaire PRIMEX STEEL TRADING avec
    un montant de 100 318 140 USD équivalent de 13.408.512.560,58 DA
    sous réserve de respecter les spécifications techniques de l’acier.
  2.  Le projet ROB1 : pour le soumissionnaire POSCO International avec un
    montant de 24.312.051,00 USD équivalent de 3.249.546.305,45 DA sous
    réserve de respecter les spécifications techniques de l’acier.
  3. Le projet ROD1 : aucune offre n’est retenue techniquement (infructuosité)

 

Le 23/05/2021 la (CME) commission des marchés entreprise a décidé sans fournir la moindre justification légale et sérieuse de renvoyer le dossier à la COPEO pour retraitement. Le motif avancé était de respecter les conditions techniques du cahier des charges.

Le 01/06/2021, les membres de la COPEO ont été réunis dans une atmosphère très tendue pour retraitement et réévaluation des offres et ils ont ajouté un avant-propos dans leurs PV/COPEO/EO/10/2021 Bis comme justification de changement de l’évaluation par rapport à la première évaluation dans le PV/COPEO/EO/10/2021Bis du 18/05/2021, et ils ont proposé de maintenir :

  1. Le projet RGZ2 : pour le soumissionnaire PRIMEX STEEL TRADING avec un montant de 100 318 140 USD équivalent de 13.408.512.560,58 DA avec les mêmes conditions de respecter la spécification technique de l’acier.
  2.  Le projet ROB1 : pour le soumissionnaire PRIMEX STEEL TRADING avec un montant de 21.842.858,50 USD équivalent de 2.919.514.282,82 DA sous réserve de respecter les spécifications techniques de l’acier.
  3. Le projet ROD1 : pour le soumissionnaire PRIMEX STEEL TRADING avec un montant de 13.333.985,70 Euros équivalent de 2.156.306.830,87 DA avec les mêmes conditions de respecter la spécification technique de l’acier.

Deux gros fabricants mondiaux exclus pour les beaux yeux d’un simple trader ! 

Le 03/06/2021, la CME et à la majorité des membres présents de valider la proposition de la COPEO et d’attribuer le marché au soumissionnaire PRIMEX STEEL TRADING  pour un montant de 18.484.333.674,28 Da, soit plus d 18,4 milliards de Da, à savoir l’équivalent de 130 millions de Dollars USD, pour les trois projets  après l’exclusion du soumissionnaire ARCELOR MITTAL, au motif que la garantie allouée à l’offre était insuffisante.

POSCO International a été également exclu pour motif de non-respect de la période de validité de l’offre. Et pourtant, le troisième soumissionnaire, PRIMEX STEEL TRADING, à son tour, n’a pas respecté la période de validité de l’offre, qui est estimée dans le cahier des charges à 90 jours. Cependant, ce dernier a proposé un délai de 30 jours puis l’a prolongé à 60 jours, ce qui reste incompatible avec les exigences du cahier des charges fixées à 90 jours.

Ce qui montre la complicité évidente des responsables d’ALFAPIPE avec le soumissionnaire PRIMEX STEEL qui a été privilégié illicitement et immoralement pour obtenir un méga-marché en Algérie en évinçant deux gros fabricants mondiaux considérés comme des leaders crédibles dans leur secteur d’activité.

En effet, PRIMEX STEEL n’est qu’un courtier commercial et ne possède pas d’usine contrairement à ses concurrents sur ce marché en Algérie. Cela constitue une violation d’un principe de base stipulé dans la loi des marchés, à savoir l’égalité des concurrents dans le traitement de l’évaluation des offres.

À cet égard, la CME a dû rejeter le marché et le considérer comme inutile en raison de la non-qualification technique de tous les soumissionnaires. Sachant que le montant qui a été attribué à la société de PRIMEX STEEL dépasse l’offre soumise par le soumissionnaire ARCELOR Mittal dans le première et deuxième appel d’offres, ce qui invalide l’argument de la CME s’agissant du  prix élevé de la première et la deuxième offre faites par ARCELOR Mittal sans comparaison avec la valeur du contrat commercial conclu avec SONATRACH.

Il est à souligner que  l’offre du soumissionnaire ARCELOR Mittal dans le premier appel d’offres est estimée à 11.553.724.319,27 Da, soit 11,5 milliards de Da,  sans le troisième projet ROD1 et l’offre du soumissionnaire ARCELOR Mittal dans le deuxième appel d’offres
est estimée 13 126 780 672,70 Da, soit 13,1 milliards de Da, pour les trois projets.

En revanche, le marché a été attribué à PRIMEX STEEL dans le troisième appel d’offres pour 18.484.333.674,28 Da, soit plus de 18,4 milliards de Da.

Une surfacturation de près de 10 % pour dilapider plus de 46 millions de dollars USD 

ALFAPIPE a donc fermé les yeux sur cette violation flagrante de la législation et de la réglementation en vigueur dans ce domaine. Pis encore, elle est allée encore plus loin, puisque la direction générale de cette société publique a révisé les prix de ce marché avec PRIMEX STEEL en ajoutant un pourcentage de 9,5 % au montant initial du marché après le refus de la CME de valider ces montants supplémentaires.

Pour contourner ce refus, le premier responsable d’ALFAPIPE a créé une commission AH-doc qui comprend ses assistants et des directeurs centraux pour valider le montant supplémentaire dans des conditions troublantes.  Ce pourcentage a été estimé au montant de 866.206.752,73 DZD, a-t-on pu confirmer au cours de nos investigations.

Avec ces manoeuvres indélicates, le montant total du marché est monté jusqu’à 19 350 540 427,01 DA, soit plus de 19,3 milliards de Da, à savoir l’équivalent de 140 millions de dollars USD.

Il est à rappeler qu’en Algérie, la la loi des marchés publics interdit clairement de négocier le montant du marché entre le service contractant et l’attributaire du marché après
la notification d’attribution finale. Si la commission des marché avait approuvé l’offre du
soumissionnaire ARCELOR Mittal lors du premier appel d’offres où le deuxième, ALFAPIPE  aurait économisé un montant de 6.223.759.754,31 DZD, soit plus de 46,5 millions de Dollars USD. Or, cet argent public a été dilapidé bêtement et méchamment juste pour avantager un fournisseur étranger au détriment ses deux concurrents. Et ces privilèges illicites ont été octroyés à ce fournisseur étranger moyennant…. des commissions et des pots-de-vin onéreux.

Dans le second volet de notre enquête, nous allons faire des révélations sur les relations sulfureuses entre les représentants de ce fournisseur étranger avec les dirigeants d’ALFAPIPE et d’autres instances gouvernementales.  Notons enfin toutes ces infractions ont été commises sous la supervision du Président Directeur général du groupe IMETAL, BOUSLAMA Tarik. Ce personnage a un joué aussi un rôle central dans ce scandale inédit de dilapidation des deniers publics. Nous expliquerons son rôle et ses connexions avec des dirigeants influents au sein du pouvoir algérien dans le prochain épisode de cette grande enquête menée sur un secteur très sensible de l’économie algérienne.

 

dernières nouvelles
Actualités