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vendredi, avril 26, 2024

Comment l’Algérie a perdu bêtement la bataille des masques de protection

Il aura fallu donc attendre le 19 mai 2020, soit trois mois après le début de l’épidémie du coronavirus COVID-19 sur le territoire national, pour que le gouvernement algérien mobilise enfin les artisans et se lance dans la fabrication des bavettes ou des masques de protection. 

Oui, hier mardi 19 mai, un haut responsable du gouvernement algérien a annoncé la mise en place d’un programme mobilisant 75.000 artisans couturiers dont des femmes au foyer pour lancer production des bavettes multi-usages et lavables dans le souci d’endiguer la propagation du Covid-19.  C’est le directeur de l’Artisanat au ministère du Tourisme, Redouane Benatallah, qui a fait officiellement cette annonce via une déclaration rendue publique par l’agence gouvernementale l’APS.

D’après ce haut responsable, il sera procédé prochainement à « l’ouverture d’ateliers de confection pour la production de près de 500.000 masques/jour, à raison de 10 millions d’unités/mois pour une première étape à travers l’ensemble des wilayas du pays ». Aucun calendrier précis n’a été annoncé, mais ce haut responsable gouvernemental se montre rassurant et selon lui, l’Algérie peut produire jusqu’à un (1) million de masques par jour.

Mais pourquoi donc avoir attendu jusqu’à trois mois après le début de l’épidémie pour se lancer dans le processus de la production nationale ? Le directeur de l’artisanat au ministère du Tourisme, de l’Artisanat et du Travail familial n’a pas répondu à cette question.

Et pourtant, dans la même déclaration faite à l’APS, il se targue d’avoir recensé plus de 400.000 artisans en Algérie. L’artisanat assure près d’un (01) million d’emplois à ce jour, croit savoir Redouane Benatallah d’après lequel ce secteur connait depuis deux mois un marasme d’ou la nécessité de prendre en charge des préoccupations des artisans afin qu’ils puissent surmonter cette conjoncture délicate.

Mais comment ce secteur qui est mondialement sollicité et courtisé pour fabriquer des masques de protection alternatifs peut-il connaître un quelconque marasme ? Cultivant les contradictions, les autorités algériennes versent une nouvelle fois dans le populisme et font preuve de bricolage pour gérer une crise sanitaire très complexe.

Ailleurs dans le monde, les Etats se sont organisés beaucoup plus sérieusement. Chez nos voisins, la fabrication des masques a été prise très au sérieux dés le début de l’épidémie. En Tunisie, dés le 6 avril, les autorités ont élaboré un plan consistant à fabriquer environ 30 millions de masques de protection dans les 15 prochains jours, soit avant le déconfinement prévu initialement pour le 20 avril en Tunisie. Un mois après le début de l’épidémie, la Tunisie s’est lancée dans la production en masse des masques.

Un plan a été édifié par les ministères de la Santé et de l’Industrie et des PME, en concertation avec la Fédération tunisienne du Textile et de l’habillement (FTTH) La Tunisie a rapidement exploité ses atouts pour relever le défi de la fabrication des masques afin de ne pas dépendre des importations chinoises. Il faut  savoir que la filière tunisienne du textile, de l’habillement et du cuir comptait, en 2019, pas moins de 1880 entreprises dont 90 % sont cependant totalement exportatrices et 45 % en partenariat direct avec des industries étrangères. Ses points forts s’articulent précisément autour du « coût à la minute » en usine. Un secteur occupe une place de choix dans l’économie tunisienne, générant près de 2 milliards d’euros d’exportation chaque année.

Et malgré quelques couacs et des retards dus essentiellement aux longues procédures d’homologation mises en place par le gouvernement tunisien et la polémique ayant entouré une affaire de soupçon de corruption ciblant l’entreprise Ortho-Group qui était pressentie pour la fabrication d’un premier lot de deux millions de masques lavables, cette entreprise appartient à un député tunisien, la Tunisie a réussi à débloquer depuis le début du mois de mai plus de 5 millions de masques qui ont été distribués au niveau de toutes les pharmacies du pays.

En Algérie, depuis le début de ce mois de mai, les officines ont reçu à peine 440 mille masques de protection. L’écart est énorme entre les deux pays. La différence au niveau de la mentalité, le mode de gestion et la réactivité face à cette crise est également énorme entre l’Algérie et la Tunisie.

Une comparaison avec le Maroc nous ferait pâlir de honte. Et pour cause, le Maroc depuis le 11 mai dernier, il peut exporter des masques à l’étranger après avoir réussi à se constituer un stock stratégique de 50 millions de masques non tissés, sortis des chaînes de production de 23 usines.

Micagricol, une seule entreprise marocaine, a pu augmenter sa capacité de production jusqu’à 3 millions de masques par jour. Comment est-ce possible ? Le ministère de l’Industrie marocain a élaboré depuis le début du mois d’avril dernier un ingénieux plan d’action consistant à accompagner et épauler les entreprises nationales du textile pour ne pas importer depuis l’étranger les masques de protection. Pour rassurer ces entreprises, Le Maroc a annoncé le port obligatoire du masque le 7 avril dernier créant ainsi une importante demande nationale de masques de protection et incitant toutes les entreprises du textile au Maroc à se lancer dans leur production afin de conquérir des parts de marchés. Avec la mise en place rapide d’un fonds de 3 milliards d’euro, les entreprises marocaines ont reçu toutes les garanties nécessaires pour se lancer dans la production. Le pari fut réussi et  la production marocaine dépasse aujourd’hui les 10 millions d’unités par jour !

On le voit bien : contrairement à ses voisins, l’Algérie a trop tardé pour réagir face à la crise sanitaire, elle n’a pas anticipé les besoins en masques de protection parce qu’aucun plan sérieux n’a été élaboré afin de conjuguer les efforts de tous les secteurs du pays pour répondre aux besoins sanitaires nationaux. L’Algérie a surtout souffert de l’absence déconcertante de son ministère de l’Industrie qui n’a pris aucune initiative sérieuse ou concrète pour doter le pays d’un plan d’action capable d’insuffler une dynamique à la production nationale. Les conséquences sont désastreuses : la production des masques de l’Algérie est ridicule, humiliante même au regard de l’histoire et la place stratégique de l’Algérie sur le continent africain. Et notre pays est encore plus que jamais dépendant de ses importations chinoises. Un véritable fiasco…

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