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samedi, avril 27, 2024

Analyse. Les alliances des États-Unis après Trump

Les alliés des États-Unis doivent être pardonnés s’ils affichent une certaine perplexité quant à la direction que suit la politique étrangère américaine. Qui ne le serait pas, étant donné que la présidence de Trump a essentiellement consisté à faire cavalier seul de la manière la plus imprudente qui soit ? Il a engendré un chaos stratégique et sa politique étrangère, si on peut l’appeler ainsi, a donné une nouvelle dimension au terme incohérence. Le président élu Joe Biden fera mieux, si ce n’est que par défaut. Mais Trump a-t-il à ce point changé les États-Unis qu’on ne puisse pas s’attendre à ce que le monde retourne à la normale ?

Trump a non seulement entretenu une histoire d’amour avec le dictateur Kim Jong-un de la Corée du Nord, un pays doté de l’arme nucléaire, et s’est entiché du président russe Vladimir Poutine – un homme qui mène une guerre politique contre l’Occident. Il s’est également fait le champion du Brexit et a dénigré les alliés européens des États-Unis, quand il ne leur mettait pas directement des bâtons dans les roues. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité de cette année, le président français Emmanuel Macron et le président allemand Frank-Walter Steinmeier ont tous deux reconnu que Trump avait fondamentalement affaibli l’Alliance transatlantique. Leur message était clair : si Trump remportait un second mandat, le partenariat historique qui sous-tend l’Occident géopolitique depuis plusieurs décennies serait à jamais altéré. Les dirigeants mondiaux prudents se préparaient certainement à un regain d’instabilité et d’incertitude en cas d’une réélection de Trump.

L’Allemagne et la France ont bien entendu de nombreuses raisons d’être en désaccord avec les États-Unis, qu’il s’agisse des relations commerciales, de la politique d’ouverture de Macron envers le Kremlin, ou de leur approche relativement moins conflictuelle vis-à-vis de la Chine. Macron, qui avait en novembre dernier affirmé que « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN », n’a nullement caché qui il tient pour responsable de la désagrégation de l’Alliance et du sentiment plus général de désarroi au sein des alliés et partenaires des États-Unis.

Mais à Paris et à Berlin, comme ailleurs en Europe, les dirigeants ne réagissent pas seulement aux méthodes agressives de Trump, à ses tactiques commerciales unilatérales ou à sa politique génératrice de dissensions. Les Européens estiment que son administration a tracé une voie menant au rejet des relations sécuritaires transatlantiques et plus généralement, du rôle central que joue l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dans l’engagement des États-Unis dans le monde. Biden abandonnera cet unilatéralisme débridé. Mais même une nouvelle approche ne suffira pas pour réparer aisément les dommages infligés par Trump, pas plus qu’elle ne modifiera le point de vue des dirigeants européens qui pensent que le Vieux Continent devra de plus en plus assurer seul sa propre défense.

Le traitement réservé par Trump aux alliés des États-Unis en Asie a fourni aux Européens de multiples avertissements, qui auraient du les préparer à une nouvelle détérioration de la relation transatlantique. Malgré la menace nucléaire posée par la Corée du Nord et la montée en puissance de la Chine, Trump a tenté de transformer les alliances cruciales des États-Unis avec la Corée du Sud et le Japon en des relations mercantiles. Heureusement, Biden comprend ce que Trump n’a pas saisi : les traités de défense mutuelle avec ces deux pays sous-tendent la stabilité en Asie de l’Est depuis 70 ans et servent directement les intérêts des États-Unis. Trump percevait les deux relations comme des « mauvais accords » et Biden devra persuader les Américains de se détourner de cette diplomatie transactionnelle.

Par ailleurs, Trump n’a pas été le premier président américain à largement user d’une rhétorique chauvine et il est possible que Biden éprouve des difficultés à faire oublier le mantra « Rendre sa grandeur à l’Amérique ». Tant la Corée du Sud que le Japon peuvent témoigner du fait que « l’Amérique d’abord » n’a pas été qu’un simple slogan. Dans le contexte d’une renégociation cette année des accords sur les mesures spéciales (Host Nation Support Agreements) qui définissent les détails de la présence américaine dans ces deux pays, Trump a menacé à plusieurs reprises de retirer les forces américaines à moins que la Corée du Sud et le Japon ne contribuent davantage au coût de ce que Trump appelle la « protection américaine ». Biden aura fort à faire pour rétablir la confiance des Sud-Coréens et des Japonais lors du renouvellement de ces accords.

En réalité, la Corée du Sud et le Japon partagent déjà les coûts de la défense mutuelle et souscrivent à la présence militaire américaine en Asie du Nord-Est depuis des décennies. La Corée du Sud assume plus de 40 pour cent des coûts relatifs au soutien opérationnel du contingent américain stationné dans ce pays ; Séoul a également financé 92 pour cent des 10,7 milliards de dollars liés au déménagement du commandement des forces américaines vers une nouvelle base au sud de la capitale et achète chaque année des équipements militaires américains à hauteur de plusieurs milliards de dollars. De son côté le Japon verse environ 2 milliards de dollars aux États-Unis pour compenser le coût que représente la présence de 54.000 militaires américains dans l’archipel, achète plus de 90% de ses matériels militaires auprès de sociétés américaines de l’armement et a fourni 19,7 milliards de dollars (77 pour cent du total) pour la construction de trois importantes bases militaires américaines dans ce pays.

Pendant près d’un an, l’administration Trump a demandé au gouvernement sud-coréen qu’il quadruple sa contribution financière, qui s’élève actuellement à 1 milliard de dollars par an, une exigence à laquelle s’ajoutent des fuites concernant l’éventuel retrait de troupes de Corée du Sud et l’annonce en juillet dernier du retrait de quelque 12.000 soldats d’Allemagne. Il est évident que l’administration Biden ne devra pas seulement définir une nouvelle stratégie de négociation, mais également réinitialiser la garantie de sécurité américaine.

Même après l’entrée en fonction de Biden, l’aigreur qui prévaut actuellement dans la relation entre la Corée du Sud et les États-Unis (qui ont rompu les discussions initiales au sujet de la nouvelle base) signifie que les négociations ne seront pas aisées. Au Japon, les pourparlers officiels ont été entamés le mois dernier et le gouvernement a jusqu’en mars 2021 pour reconduire l’accord. Les responsables de la Défense américains ont averti leurs homologues japonais de s’attendre au même traitement que les Sud-Coréens. Il est toutefois très probable que Biden réécrive également ce scénario. Le nouveau Premier ministre japonais, Yoshihide Suga, s’attend sans doute à des négociations difficiles, mais sans l’attitude « à prendre ou à laisser » qui a soulevé des doutes quant à la pérennité des garanties de sécurité américaines.

Recommencer à traiter les alliés comme des alliées devrait considérablement aider Biden. Trump ne s’est nullement préoccupé des répercussions que pouvait avoir ses actions à Séoul et Tokyo, ou de leurs effets sur l’avenir politique du président sud-coréen Moon Jae-in et de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe. Dans l’intérêt de la sécurité, tous deux ont tenté de se plier au « génie stable » de Trump au cours des trois dernières années, sans autre résultat qu’un certain embarras politique au plan national. L’élection de Biden a sans aucun doute été un grand soulagement dans les deux capitales asiatiques.

Malheureusement, l’héritage délétère de Trump survivra à sa défaite électorale. Biden devra consacrer toute son attention à la crise sanitaire et au changement climatique et la politique étrangère sera reléguée au second plan des priorités nationales. Pour les alliés des États-Unis, la patience restera de mise. Réparer les dégâts des années Trump prendra du temps. Comme il le dit depuis 1990 au moins, Trump souhaitait revoir les dispositions relatives aux garanties de sécurité américaines et radicalement modifier le rôle des États-Unis dans le monde. Le président sortant a beau être un menteur compulsif, sur ce sujet il a tenu parole.

Kent Harrington est un ancien analyste de la CIA. Il a été agent du renseignement pour l’Asie de l’Est, chef de poste en Asie et directeur des relations publiques de la CIA.

Copyright: Project Syndicate, 2020.
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