6.9 C
Alger
jeudi, avril 18, 2024

Révélations. Comment la Sonatrach va « massacrer » les gisements du pays pour fournir encore davantage de gaz naturel à l’Italie

Le protocole d’accord qui a été paraphé par Toufik Hakkar, le PDG de Sonatrach, et son homologue d’Eni, Claudio Descalzi, pour permettre à l’Algérie d’exporter de nouvelles quantités de gaz supplémentaires vers l’Italie a provoqué un alarmant sentiment d’amertume qui ronge profondément de nombreux cadres dirigeants de la compagnie nationale des hydrocarbures, la Sonatrach. Les dessous de cet accord gazier qui autorise l’Algérie à livrer à l’Italie des volumes de gaz qui atteindront 9 milliards m3, en 2023-2024 ont provoqué un dégoût moral généralisé en raison des manoeuvres très dangereuses entourant cet accord. Des manoeuvres qui vont nuire définitivement aux réserves nationales du gaz naturel. En vérité, pour concrétiser cet accord et rendre possible sa mise en oeuvre, la direction générale de Sonatrach a pris des décisions inédites qui vont porter un énorme préjudice à la sécurité des gisements de gaz naturel les plus importants du pays. Révélations. 

Algérie Part a pu confirmer au cours de ses investigations que la Sonatrach va puiser dans sa propre consommation domestique les volumes nécessaires de gaz naturel qu’elle veut livrer prochainement à l’Italie. La direction générale de Sonatrach a instruit les services de la division production-exploration de la compagnie d’utiliser dorénavant le gaz naturel, dit associé, qui ne sort pas du champs pétrolier ou gazier, qui n’est pas vendu, mais qui a un usage local et sert plusieurs objectifs dont le principal est la réinjection du gaz produit dans les réservoirs de gaz et de pétrole afin de dynamiser la production ou de l’empêcher de baisser.

Ce gaz naturel réinjecté est incontournable pour l’entretien et la sécurisation des gisements gaziers. La Sonatrach utilise également d’importants volumes de gaz naturel pour les réinjecter dans les puits des hydrocarbures. Il s’agit d’un procédé très important pour le maintien en vie des gisements de nos hydrocarbures. Le recyclage du gaz naturel ou d’autres gaz inertes permet d’augmenter la pression dans le puits, provoquant la dissolution de plus de molécules de gaz dans le pétrole abaissant ainsi sa viscosité et augmentant le débit à la sortie du puits. La technique de la réinjection de gaz concerne la réinjection de gaz naturel dans un réservoir souterrain, généralement dans un réservoir contenant déjà à la fois du gaz naturel et de pétrole brut, afin d’augmenter la pression dans le réservoir et ainsi augmenter le débit de pétrole brut ou encore séquestrer le gaz qui ne peut pas être exporté. Après que le brut ait été pompé, le gaz naturel est une fois encore récupéré. Comme bon nombre des puits découverts partout dans le monde contiennent du pétrole brut lourd, ce processus augmente leur production.

Pour répondre aux besoins de cette réinjection, la Sonatrach consomme annuellement plus de 20 milliards de mètres cubes. Justement, les 9 milliards de M3 que l’Algérie veut exporter en guise de quantités supplémentaires pour soulager l’Italie soumise à de fortes pressions de sa dépendance vis-à-vis du gaz russe seront puisés en grande partie au niveau de ces volumes destinés à la réinjection.

Or, cette décision prise par la direction générale de Sonatrach depuis 2021 ne fait pas l’unanimité au sein des cadres dirigeants et compétences de la compagnie notamment au sein des services de la division production-exploration. Plusieurs importants cadres ont protesté vigoureusement contre ce plan d’action qualifié de « chaotique » et de « machiavélique » car il menace directement la pérennité de l’exploitation des gisements gaziers du pays. « On ne peut saboter et détruire nos gisements juste pour faire plaisir aux italiens en leur fournissant davantage de gaz alors que nous avons cruellement besoin de ces volumes pour assurer l’intensification de la réinjection de gaz qui est indispensable pour remonter rapidement le niveau de la production nationale de nos gisements », confie sous le sceau de l’anonymat un cadre dirigeant de Sonatrach.

Depuis le deuxième semestre de l’année 2021, la direction générale tente d’étouffer la moindre contestation de ses experts à propos de cette démarche sulfureuse de détourner le gaz à réinjecter dans les puits et gisements pour le livrer à l’Italie. Et afin de « mater » la contestation, le PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, a procédé à des limogeages massifs de plusieurs hauts responsables des divisions en charge de la production, exploration ou la protection de nos réserves nationales en gaz naturel.

Ces limogeages se sont accélérés brutalement depuis fin 2021 à cause du désaccord profond exprimé par ses hauts cadres avec la mauvaise politique employée dans la gestion des réserves des hydrocarbures du pays notamment les gisements gaziers du bassin de Hassi R’mel. En effet, depuis la fin du deuxième semestre de 2021, des responsables du gisement de Hassi R’mel sont montés au créneau pour déplorer le non-recyclage dans les gisements des quantités nécessaires de gaz qu’il faut réinjecter régulièrement pour assurer la maintenance des puits de production et le renforcement de leurs capacités productives.

Les protocoles de sécurité des gisements d’hydrocarbures imposent effectivement la réinjection de 30% du gaz naturel extrait des gisements gaziers pour éviter l’accélération de la déplétion, c’est-à-dire la chute de pression du gisement ce qui réduira dangereusement sa durée de vie. Il s’avère que ces protocoles de sécurité ont été volontairement négligés, voire abandonnés sous la pression des directives de la direction générale de Sonatrach qui avait détourné les quantités de gaz destinées à la réinjection dans les gisements pour les orienter vers les exportations à l’étranger dans le but d’embellir le bilan financier terne de la compagnie.

Il faut savoir que dans le domaine pétrolier, la déplétion (de l’anglais depletion qui signifie épuisement, raréfaction) désigne l’épuisement progressif d’un gisement pétrolier ou gazier du fait de son exploitation. La déplétion se traduit par une pression dans le réservoir, inférieure à la pression initiale avant la mise en production. Elle se traduit aussi par une diminution régulière des débits des puits de production. 

Cette stratégie employée par la Sonatrach depuis 2021 a provoqué des dégâts majeurs sur la maintenance des gisements du bassin de Hassi R’mel. Ce dernier était d’ores et déjà confronté à l’entame de son dernier cycle de vie par la réalisation de troisième phase de Boosting pour pouvoir produire ce qui reste du gaz durant les 5 à 6 prochaines années ainsi que la perte des liquides à haute valeur ajoutée à savoir le condensat et le GPL qui ne seront pas récupérés. Ces manoeuvres purement techniques ont été mises en oeuvre par la direction générale de Sonatrach pour privilégier l’exportation du gaz sec beaucoup moins cher et s’offrir ainsi un bilan superficiellement positif permettant aux dirigeants algériens de « crier victoire » en dégageant des quantités supplémentaires de gaz naturel à l’exportation au détriment de l’intégrité du gisement.

Force est de constater que tous les responsables ayant parlé de ce « massacre » du gisement ont été limogés, marginalisés et mutés ailleurs chacun dans une autre région au sud. Il s’agit notamment de Baali Mohamed El-Seghir Redha, le directeur régional de Sonatrach à Hassi R’mel et responsable de la station sud de compression de gaz de Hassi R’mel, qui avait été relevé de ses fonctions au début décembre 2021 pour être muté et marginalisé au niveau de la direction régionale STAH à In Amenas dans la wilaya d’Illizi.

La direction générale de Sonatrach a suspendu également de ses fonctions Hebelle Abdehakim, Directeur engineering production du gisement de Hassi R’mel. Ce dernier a été muté et marginalisé au niveau de la Direction Régionale Rhourde El Baguel, wilaya d’Ouargla. Deux autres hauts responsables à Hassi R’mel ont été aussi suspendus en raison de leur vive opposition au détournement du gaz destiné à la réinjection.

Il s’agit de M. LAHOUEL, Directeur de l’exploitation au niveau de la direction régionale de Hassi R’mel, marginalisé et muté à Ohanet dans la wilaya d’Illizi. M. NACERI, Directeur technique à la direction régionale de Hassi R’mel, a été lui-aussi limogé et muté vers la zone Tin Foyé Tabankort Sud (TFT). Ce cadre subit d’énormes pressions pour partir à la retraite et se retrouver ainsi exclu de la compagnie nationale des hydrocarbures.

Sous l’impulsion de Toufik Hakkar, la direction générale de Sonatrach a également suspendu de ses fonctions Djettou Farid, Directeur de la Division PED, la division Petroleum Engineering et Développement (PED), une structure stratégique qui gère les réserves d’hydrocarbures. Farid Djettou était également l’ancien directeur de la division association de Sonatrach qui gère les partenariats de la compagnie nationale des hydrocarbures avec les sociétés étrangères. Djettou Farid était l’un des plus ardents opposants à la captation du gaz naturel destiné à la réinjection pour le livrer à Eni, le géant italien de l’énergie avec lequel la Sonatrach a conclu ce deal de l’accroissement de la fourniture de l’Italie en gaz naturel.

La concrétisation de ce deal va tout simplement mettre en danger nos plus importants gisements de gaz naturel. Il s’agit bel et bien d’un « crime économique » et « écologique » dont les principaux instigateurs devront s’expliquer un jour ou l’autre devant les tribunaux compétents pour rendre définitivement des comptes.

 

 

dernières nouvelles
Actualités