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vendredi, avril 19, 2024

Mort du chanteur Idir : infâme campagne de dénigrement ciblant la Kabylie

La triste nouvelle de la disparition de l’artiste Idir a bouleversé non seulement sa famille, ses proches ainsi que des millions d’Algériens et de Tamazgha, mais aussi de nombreux citoyens, des personnalités du monde médiatique, artistique et politique tant en Algérie qu’un peu partout dans le monde, comme en témoignent les innombrables hommages et messages de condoléances rendus publics. Paradoxalement cet événement tragique est l’occasion saisie par certaines personnes pour déverser sur internet et les réseaux sociaux un discours haineux et xénophobe ciblant le regretté Idir et sa région d’origine, la Kabylie, alors que sa disparition est un choc même pour celles et ceux qui ne comprennent pas un traitre mot de ses chansons.

Cette compagne de dénigrement des personnalités de cette région n’est, cependant, pas nouvelle ; elle est relancée à différentes occasions y compris en période de deuil frappant la Kabylie et n’épargne aucune catégorie sociale : écrivains, intellectuels, artistes, politiques, footballeurs… et rien ne trouve grâce aux yeux de ses auteurs. Aujourd’hui, elle cible le défunt Idir, hier ce fut Mammeri, Djaout, Arkoun, Matoub, Ait Menguelat, Ait Ahmed, Slimane Azem, Zidane… et même le directeur des affaires religieuses de Bejaia n’y a pas échappé, il est vilipendé pour avoir tout simplement rendu un hommage émouvant au regretté Idir.

Une campagne récurrente et ancienne, tantôt abrupte et tantôt insidieuse, mais assumée publiquement, notamment en 2019 par l’ancien chef d’état-major, Gaid Salah, qui n’a pas hésité à designer la Kabylie comme étant l’instigatrice du Hirak et à imposer l’interdiction du déploiement de l’emblème amazigh, symbole de l’identité historiquement millénaire de l’Algérie et, plus largement, de toute l’Afrique du Nord, devenu désormais un délit passible de peine de prison.

Cet oukase du haut commandement de l’armée est exécuté illico presto par la justice en condamnant plusieurs dizaines de jeunes porteurs de l’emblème amazigh à des peines de prison ferme. Cette décision politique et son prolongement judiciaire témoignent à l’évidence d’un racisme d’État à l’égard d’une région, une des composantes de la société Algérienne au moment où, grâce au Hirak, tous convergent dans les slogans, les déclarations les pancartes, les mots d’ordre… pour faire nation .

Pour diviser et affaiblir le Hirak, le régime fait agiter tantôt le spectre de « la main de l’étranger » et tantôt la « menace kabyle », les habitants de Kabylie sont qualifiés de « zouaves », une mystérieuse opération « zéro Kabyles », est lancée lors d’une rencontre tenue du 18 au 20 août 2019 dans l’Ouest du pays pour empêcher l’ascension supposée des Kabyles, et les autorités y ont procédé à la fermeture d’une douzaine d’églises afin d’indexer la Kabylie et de la singulariser et la montrer du doigt …

Désormais, cette région, surveillée de longue date par le pouvoir comme du lait sur le feu, est plus que jamais tenue en suspicion. Une région qui s’est d’autant plus engagée massivement dans le Hirak qu’elle vit ce soulèvement comme une continuité de ses luttes antérieures.

Précisons, toutefois, que cet ostracisme concerne non seulement la Kabylie qui a payé un lourd tribut, notamment lors de l’insurrection citoyenne de 2001 dont la répression s’est soldée par plus de 128 morts, des centaines de blessés et de jeunes handicapés à vie, mais aussi les populations de certaines régions berbérophones, comme les Aurès et le M’zab. Pour avoir lancé une révolte sociale en 2003, de jeunes chaouis de la localité de Tkout dans les Aurès ont été torturés par des éléments des forces de sécurité. En 2014, la région du M’zab dans le sud a connu à son tour une répression sauvage à la suite d’un soulèvement massif pour dénoncer le traitement répressif qu’elle continue de subir, dont certains jeunes mozabites croupissent encore en prison. Plus grave le docteur Kamel Eddine Fekhar, figure emblématique de cette contestation citoyenne, est assassiné en prison le 28 mai 2019 à la suite d’un refus de soins de l’administration pénitentiaire et Maître Salah Dabouz, avocat de Fekhar, a dû subir beaucoup de menaces et de pressions, ainsi que beaucoup d’autres citoyens du Mzab l’instar de nombreux opposants politiques, journalistes, militaires et intellectuels…

Ce discours haineux est diffusé par un courant de pensée dit arabo-islamique présent dans les mouvances islamistes baathiste dans leurs différentes variantes dont les idées sont répandues au sein, notamment du FLN, l’armée, l’enseignement, la justice… Il est construit sur la prétendue idée de défendre la langue arabe et l’islam, dont la genèse remonte au mouvement national.

Un discours fortement idéologisé en ce qu’il ne renvoie ni à l’arabité de l’Algérie vécue par les Algériens comme une réalité culturelle et linguistique vivante et objective, ni à l’islam spirituel forgé par la tradition confrérique, en Afrique du nord, qui en a fait une source d’élévation morale et facteur de cohésion sociale, mais à un contenu idéologique auquel l’usage politique sert la mystification et l’exclusion.

Ce déferlement de haine à l’égard du défunt Idir et de ce qu’il représente comme diversité, culturelle et politique participe de cette idéologie rétive à toute forme d’altérité, de différence et d’ouverture à l’autre. Ce repli sur soi au nom de « l’authenticité » est source de haine et de rejet de l’autre. Cette attitude xénophobe est d’autant plus condamnable que l’Algérie vient de se doter d’une loi criminalisant la haine et le racisme, alors même qu’aucune autorité publique n’a dénoncé cet ostracisme. Si rien n’est fait rapidement pour empêcher ces discours de haine et d’exclusion, le risque est alors réel de voir se nouer à l’avenir des situations tragiques qui menaceront dangereusement le destin collectif qui peut nous ramener vers un génocide.

Paniqué par la reprise certaine et plus déterminée du Hirak, le pouvoir du fait accompli, opte pour cette stratégie diabolique qui tente de stigmatiser la Kabylie et du coup diviser le Hirak.

La vigilance doit être de rigueur devant cette attitude xénophobe et malheureusement officielle.

Riposte Internationale condamne avec la plus grande vigueur de tels propos et le silence complice de l’administration Algérienne, et tient à attirer l’attention de l’opinion publique tant algérienne qu’internationale sur les risques de dérives dangereuses que ces discours haineux peuvent engendrer.

Par Ali AIT DJOUDI OUFELLA, Président de l’ONG Riposte Internationale et Lila MANSOURI, Secrétaire Générale de la même ONG 

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