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mercredi, avril 24, 2024

Merzoug Touati, le triste symbole des dérives de l’article 196 bis du Code pénal

L’affaire de la détention arbitraire de Merzoug Touati est devenue le triste symbole des dérives sinistres de l’Article 196 bis du Code pénal en Algérie. C’est ce qui vient d’être expliqué et analysé dans un rapport approfondi et détaillé qui a été remis à plusieurs rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ce rapport a été rédigé par une dizaine d’associations, ONG algériennes et étrangère comme Riposte Internationale,  le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA), la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées, l’Institut du Caire pour les Droits de l’Homme (CIHRS) ou encore la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH).

Il faut savoir, tout d’abord, qu’un rapporteur spécial est une personne mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies au titre des procédures spéciales. Il s’agit d’un(e) expert(e) indépendant(e) qui agit sur des situations individuelles comme sur des sujets thématiques qui sont de sa compétence. Il faut savoir que depuis 2016, il existe 38 mandats thématiques et 14 mandats par pays. Le mandat de rapporteur spécial le plus important, en nombre de communications, est celui relatif à la situation des défenseurs des droits de l’homme, qui, par nature, couvre l’ensemble du corpus des droits de l’homme, au travers des personnes qui, individuellement ou en groupe, agissent pour défendre ce corpus.

Pour alerter les instances de l’ONU sur la situation alarmante du détenu politique Merzoug Touati, les associations et ONG signataires de ce rapport ont interpellé Elina Steinerte (Présidente-Rapporteur du Groupe de travail sur les détentions arbitraires), Irène Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ainsi que Nils Melzer, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

D’après ces ONG et associations solidaires avec Merzoug TOUATI, ce détenu politique illustre parfaitement une pratique systématique et systémique du gouvernement algérien, allant à l’encontre de l’exercice de la liberté d’expression des journalistes, blogueurs et lanceurs d’alertes.

Le présumé Merzoug TOUATI a été emprisonné, à la suite d’une comparution immédiate, pour deux chefs d’inculpation : outrage à corps constitué et diffusion de fausses informations. En amont de cette inculpation pénale, Merzoug TOUATI avait été par ailleurs convoqué par le service de cybercriminalité de la ville de Bejaia puis celui de Ghardaia. L’outrage à corps constitué est une infraction définie par l’article 146 du code pénal algérien : « L’outrage, l’injure ou la diffamation commis par l’un des moyens énoncés à l’article 144 bis envers le parlement ou l’une de ses deux chambres, les juridictions ou envers l’armée nationale populaire, ou envers tout corps constitué ou toute autre institution publique, est puni des peines prévues à l’article ci-dessus ».

La diffusion de fausses informations est une infraction définie par la nouvelle Loi n°20-06 du 28 avril 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n°66-156 du 8 juin 1966. Cette loi a été introduite à l’article 196 bis du Code pénal et dispose le suivant :

« Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public. »

Cependant, cette loi a vivement été critiquée dès son adoption. En effet, adoptée en pleine pandémie, au moment où le mouvement du Hirak était suspendu en raison de la crise sanitaire, elle a été considérée par les autorités comme un nouveau moyen légal de réprimer et museler la presse. Elle a été justifiée par les autorités par une supposée augmentation de diffusion de fake news concernant la propagation de la COVID-19.

Dès son adoption, l’ONG Reporters sans frontières (RSF), s’inquiétait d’une possible « instrumentalisation pour museler la presse », de la loi à l’encontre des aspirations du peuple algérien et de sa volonté d’édifier un État démocratique. Ce nouvel arsenal juridique vise largement à limiter la liberté de la presse en créant une restriction démesurée sur ses activités, en renforçant le contrôle de l’État sur la liberté d’expression. A titre d’exemple, elle oblige notamment les médias en ligne à héberger leurs sites en Algérie, ce qui pourrait conduire à la violation de la protection des sources journalistiques.

En outre, afin d’inculper le présumé Merzoug TOUATI, la justice algérienne s’est emparée de ce nouvel article 196 bis Code pénal, qui fait l’objet de peu d’application et de jurisprudence.

Par ailleurs, si ce chef d’inculpation dispose d’une base légale pénale, les faits reprochés au présumé ne répondent pas aux dispositions de l’article 196 bis. En effet, d’après les rapports de ses avocats et de ses proches, Merzoug TOUATI aurait été entendu et inculpé suite à des commentaires émis sur les réseaux sociaux, concernant les conditions d’emprisonnement de Mohamed Baba Nadjar.

En effet, d’après la défense, au cours du procès, la seule preuve à charge contre Merzoug TOUATI serait une publication Facebook décrivant les conditions de privation de liberté dudit prisonnier politique. La publication décrit une opération d’intimidation au sein de la prison, et dénonce l’absence de soin, réclamés par Baba Nadjar, suite à une blessure à l’épaule datant de quelques mois déjà. Réclamant un traitement adapté pour son épaule, la publication explique que le prisonnier a commencé deux jours auparavant, une grève de la faim.

Si l’élément légal existe en substance, les faits reprochés à Merzoug TOUATI ne constituent en aucun cas des informations fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public.

Ainsi, l’incarcération de Merzoug TOUATI découle directement de l’exercice de sa liberté de pensée, de conscience, d’opinion et d’expression. Merzoug TOUATI a été harcelé juridiquement et judiciairement pour avoir diffusé des informations dans le cadre de sa fonction professionnelle de journaliste et de lanceurs d’alerte. La privation de liberté de Merzoug TOUATI constitue une violation des articles 18 et 19 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme ainsi que dans les articles 18 et 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

Le cas de Merzoug TOUATI est ainsi révélateur de la lourde répression des journalistes et des médias en lignes en Algérie aujourd’hui. S’il est possible de féliciter l’Algérie quant à la libération d’un certain nombre de manifestants et d’autres personnes emprisonnées pour leur engagement dans le mouvement Hirak populaire, il est nécessaire d’appeler les autorités algériennes à porter leur attention sur la libération de tous les journalistes détenus. Il est nécessaire et urgent d’abandonner toutes les charges contre eux et mettre fin au harcèlement dont ils font l’objet.

Les ONG et associations signataires du rapport adressé aux Rapporteurs Spéciaux de l’ONU ont souligné enfin dans leur communication que malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution algérienne au 1er novembre 2020 et un discours du Président Abdelmajid Tebboune annonçant une grâce présidentielle pour 60 détenus et davantage de garanties pour la liberté d’expression et les médias, de nombreux journalistes en Algérie sont toujours incarcérés pour avoir tenté d’exercer librement leurs fonctions professionnelles. Les médias en ligne, comme la dénoncé entre autres Rupert Coville, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, subissent également une vague constante de harcèlement qui doit cesser immédiatement. Plusieurs ont été censurés, comme le blog du détenu Merzoug TOUATI.

 

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