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mercredi, avril 24, 2024

Les mille et une injustices de l’affaire Khalida Toumi

L’ancienne ministre de la Culture Khalida Toumi, de 2002 à 2014, est au coeur d’un véritable imbroglio judiciaire qui dévoile toutes les dérives irrationnelles du système algérien. Rien, absolument rien, dans les procédures judiciaires qui accablent Khalida Toumi n’est conforme aux normes du Droit, aux règles d’une Justice sérieuse et impartiale. Explications. 

D’abord, le  commencement fut uniquement basé sur des soupçons qui n’ont jamais été vérifiés par une enquête sérieuse et efficace. Khalida Toumi a été arrêtée à la suite d’une lettre anonyme, pour des soupçons de »dilapidation de l’argent public », « abus de fonction» et « octroi d’indus avantages à autrui ».  Elle est en détention provisoire à la prison d’El Harrach depuis le 4 novembre 2019. Khalida Toumi a bouclé ainsi plus deux années en prison sans avoir subi préalablement de procès ni avoir jugé coupable d’un crime quelconque. Cette longue et anormale période « de détention préventive » s’assimile à une « condamnation » qu’aucune loi ne peut justifier étant donné que le principe sacré de la présomption d’innocence n’a pas été respecté.

Ce n’est qu’en décembre 2021 que Khalida Toumi a appris que son procès s’ouvrira bientôt devant les juridictions compétentes. Durant tout ce temps,  son dossier été gelé sans aucune explication ou justification légale. En trois semaines, la Justice algérienne a fait savoir qu’elle a clôturé son instruction. Oui en trois semaines seulement alors que Khalida Toumi est emprisonnée depuis plus de deux ans ! Et toutes ses demandes de liberté conditionnelle ou provisoire ont été refusées alors qu’elle ne présentait pas le moindre risque de fuir la justice au regard de son statut de personnalité politique et publique.

Victime d’un « prolongement » injustifié de sa détention provisoire, l’ancienne ministre de la Culture va découvrir encore d’autres anomalies au cours de son tant attendu procès. Le 3 mars dernier, le Pôle pénal économique et financier du Tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a reporté une première fois ce procès au 17 mars. Un deuxième report fut ensuite décidé et le procès s’est tenu finalement le 24 mars dernier.

Ainsi, après 29 mois de détention arbitraire, Khalida Toumi a pu avoir enfin l’occasion de se défendre comme n’importe quelle autre citoyenne devant les juges. Sur le banc des accusés, Khalida Toumi a retrouvé deux de ses collaborateurs :  l’ancien inspecteur général du ministère de la Culture, Abdelhamid Benblidia, détenu lui-aussi, et l’ancien directeur de la culture de la wilaya de Tlemcen, Miloud Hakim, qui comparaissait libre. Pour inculper Khalida Toumi, La justice s’est appuyée sur quatre grands événements culturels organisés par l’État durant les années Bouteflika : “2007, Alger capitale de la culture arabe”, “Le Festival panafricain de 2009”, “Tlemcen, capitale de la culture islamique (2011)” et le tournage avorté du film sur l’Émir Abdelkader.

Khalida Toumi est accusée officiellement d’ »octroi d’indus avantages dans les marchés publics » et d’ »abus de fonction en accomplissant un acte en violation de la loi » dans le cadre de l’organisation de trois manifestations culturelles, à savoir, « Alger, capitale de la culture arabe », en 2007, le Festival panafricain en 2009, et « Tlemcen, capitale de la culture islamique », en 2011. A quoi s’ajoute le financement du film sur l’Emir Abdelkader et d’indus avantages qui auraient été accordés à l’actrice française Isabelle Adjani.

Pour accabler Khalida Toumi, les juges algériens ont auditionné 53 témoins et engagé 11 expertises comptables pour éplucher des dizaines de contrats qui ont engagé des milliards de dinars de dépenses publiques. Sur 53 témoins, seuls deux ont porté des accusations graves contre Khalida Toumi. Oui uniquement 2 sur… 53 témoins.  Le premier témoin est Hamid Serrai, signataire des ordres de service (ODS) et attestations d’arrêt et de reprise du chantier liés aux marchés de réhabilitation de la salle de cinéma Atlas, à Bab El-Oued (Alger). Il avait déclaré avoir été contraint  par Mme Toumi de signer et que l’un des ODS a été paraphé à la salle Atlas. Mais cette accusation s’appuie uniquement sur témoignage verbal et aucune preuve palpable n’a été concrètement avancée pour prouver l’intervention de l’ex-ministre de la Culture en faveur d’un intérêt tierce. D’ailleurs, Khalida Toumi et l’entrepreneur ayant été sélectionné pour les travaux de la salle ATLAS ont nié catégoriquement ces accusations devant le tribunal.

Le deuxième témoin est le directeur général de l’Agence pour la réalisation des grands projets de la culture (ARPC), Mustapha Ourif, qui avait également accusé l’ex-ministre d’agir par instruction en faveur d’intérêts privés. Il s’agit encore une fois d’accusations verbales qui n’ont jamais été étayées par des éléments matériels convaincants.

Face à l’inconsistance des accusations, les avocats de Khalida Toumi se sont relayés pour dénoncer une véritable cabale médiatique orchestrée  par vengeance politique visant à s’en prendre gratuitement à une personnalité publique qui dérange.

Dans les expertises réalisées à propos des projets culturels lancés à l’époque de Khalida Toumi, nous retrouvons, par ailleurs, de nombreux éléments disculpant l’ex-ministre, qui n’ont jamais été pris en considération par les magistrats algériens. Preuve en est, le dernier rapport d’expertise de l’Inspection générale des finances (IGF) demandé par le magistrat conseiller de la Cour suprême concernant de présumées malversations dans la gestion de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe 2007» affirme clairement que Khalida Toumi avait une responsabilité très limitée dans la gestion financière de cet événement. Khalida Toumi n’était qu’un membre du comité national de gestion de cet évènement culturel de grande envergure présidé par l’ex-chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia, et composé de plusieurs ministres.

Le commissaire de cet évènement culturel était, d’ailleurs,  autonome dans la gestion financière et disposait de ses propres services de contrôle financier. En 2007, la loi de finances complémentaire avait décidé de la création d’un compte spécial au niveau du Trésor public dédié entièrement à l’événement et mis à disposition du commissaire. L’ex-ministre de la Culture n’avait aucun regard sur la gestion de cet argent. L’ex-commissaire de cet évènement est Kamel Bouchama et ce dernier a été désigné sénateur au titre du tiers présidentiel par Abdelmadjid Tebboune le 16 mars 2022. Il n’a jamais été inquiété contrairement à Khalida Toumi.

Un autre document central n’a pas pris en compte par la Justice algérienne dans son traitement de l’affaire Khalida Toumi.  Il s’agit d’une note datée du 29 avril 2006, émanant de l’ancien ministre des Finances de l’époque, Mourad Medelci, qui avait autorisé le commissariat « d’Alger, capitale de la Culture Arabe 2007 » de recourir au gré à gré simple pour avancer plus vite dans la préparation de la manifestation classée à l’époque comme une « priorité nationale ».

Malgré tous ces faits limitant grandement la responsabilité de Khalida Toumi dans les faits de dilapidation de deniers publics qui lui ont été imputés, le Procureur de la République près le Pôle pénal économique et financier du Tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis le 28 mars dernier une peine de dix (10) ans de prison ferme assortie d’une amende d’un (1) million de dinars à l’encontre de l’ancienne ministre de la Culture. Le verdict sera annoncé le 7 avril prochain. Mais il est peu probable que la Justice algérienne fasse preuve de bon sens car sa politisation excessive et son instrumentalisation par les décideurs militaires ou politiques gâchent toute lueur de lucidité au sein de nos tribunaux.

 

 

 

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