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jeudi, avril 25, 2024

L’Algérie pourra-t-elle réellement économiser 20 milliards de dollars en 2020 ?

L’objectif est très ambitieux. Il consiste à permettre à l’Etat algérien d’économiser 20 milliards de dollars à la fin de l’année en cours. D’après Abdelmadjid Tebboune, cet objectif sera atteint en réduisant la facture des importations et en lançant de nouveaux projets d’exploitation des richesses minières du pays cpmme la mine de fer de GaraDjebilet, dans la wilaya de Tindouf, du gisement de Zinc et plomb d’Oued Amizour (W. Béjaia), la relance du projet de fabrication de produits phosphatés à El Aouinet (W. Tebessa).

Mais l’Algérie de 2020 est-elle réellement en capacité d’économiser 20 milliards de dollars notamment en cette période de crise sanitaire qui nécessite davantage d’implication financière de l’Etat algérien ? La question mérite de faire l’objet d’un sérieux éclairage.

Il faut savoir, de prime, abord que ce n’est pas la première fois que l’Etat algérien s’est fixé l’objectif de réduire ses dépenses ou ses importations en devises à l’étranger. En mars 2017, le gouvernement algérien dirigé à l’époque par Abdelmalek Sellal avait fixé comme objectif de réduire de réduire à 30 milliards de dollars le volume de nos importations”. A l’époque, Sellal avait souligné que les efforts de rationalisation ont permis de “ramener les importations de 66 milliards dollars en 2014 à 35 milliards dollars en 2016”, mettant en évidence les “avancées réalisées” dans les industries mécanique et pharmaceutique.

Or, ces informations s’avèrent fausses et infondées. Si l’Algérie a réduit ses importations en 2017 par rapport à 2014, c’est parce qu’elle avait commencé à manquer d’argent et ressentir les effets de la crise financière provoquée par la chute des prix du baril du pétrole de 2014. Rappelons-nous qu’après avoir connu une baisse de 40 % en 2014, le prix du baril de pétrole avait terminé l’année à environ 60 $ US, du jamais vu depuis 2009. Cette chute des prix a été provoquée par l’arrivée massive sur le marché mondial du pétrole de schiste américain qui avait totalement cassé les prix.

Dans ce contexte, l’Algérie n’a pas réduit ses importations par choix, mais par contrainte financière. Et même avec cette contrainte de réduire les dépenses, l’Algérie n’a jamais pu atteindre le seuil des 30 milliards de dollars des importations. Preuve en est, en 2018, les importations se sont établies à 46,197 mds usd en 2018 contre 46,059 mds usd en 2017, soit une hausse de 138 millions de dollars (+0,3%). En 2019, la facture globale des importations a également dépassé largement les 30 milliards de dollars et même pour 2020, l’Etat algérien prévoyait d’importer pour 38,6 milliards de dollars en 2020 selon les chiffres avancés le 25 novembre 2019 par l’ancien ministre des Finances, Mohamed Loukal, lors de la présentation du Projet de Loi de Finances 2020, devant les membres du Conseil de la Nation.

L’Algérie a donc échoué à atteindre son objectif d’un seuil limite de 30 milliards de dollars d’importations. Pourquoi ? Pour ne pas importer et dépenser ses devises à l’étranger, l’Algérie doit disposer d’un tissu de production nationale capable de couvrir les besoins essentiels du pays. C’est aujourd’hui le même dilemme auquel est confronté Abdelmadjid Tebboune. C’est louable de vouloir réduire la facture des dépenses de l’Etat de 20 milliards de dollars, mais comment y arriver s’il n’y a pas de production nationale capable de couvrir les besoins du pays ?

A ce titre, les annonces faites par le Conseil des Ministres, qui s’est tenu hier dimanche à Alger, interpellent par leur caractère qui peut paraître excentrique et déconnecté de la réalité algérienne. A titre d’exemple, le gouvernement algérien a promis d’arriver à l’horizon 2021 à économiser près d’un milliard de dollars d’importation de produits pharmaceutiques.

La réalité du marché des médicaments et la faiblesse encore chronique du secteur pharmaceutique rend cet objectif irréalisable. Pour rappel, l’Algérie a importé des produits pharmaceutiques pour une valeur de 1,474 milliard de dollars au cours des huit premiers mois de 2018, contre 1,259 milliard à la même période de 2017, soit une hausse de 17,1%. Chaque année, l’Algérie importe en moyenne deux milliards de dollars de médicaments et en produit localement pour une valeur de 1 milliard de dollars. Malgré cette somme, plus de 240 médicaments ont cruellement manqué sur les étales des officines en 2018. L’actuel ministre chargé de l’industrie pharmaceutique était lui-même l’ancien  président du Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens, à savoir le Dr Lotfi Benbahmed. Le 18 septembre 2018, il s’était indigné contre le fléau des pénuries du médicament en Algérie. Cela démontre que l’industrie pharmaceutique peine à couvrir les besoins du pays.

Pour à la fois rendre les médicaments disponibles sur le marché et réduire la facture des importations, le ministère algérien de la Santé a fixé une liste de 357 produits pharmaceutiques et onze matériels médicaux fabriqués en Algérie qui sont interdits à l’importation. L’Algérie veut depuis 2016, voire 2015, atteindre le taux de 70% d’autosuffisance en médicaments. Mais jusqu’à aujourd’hui, la production nationale satisfait à peine 40 % des besoins sanitaires du pays. Cette faiblesse s’explique par une mauvaise  stratégie industrielle et une forte dépendance des producteurs locaux aux aides de l’Etat comme les exonérations fiscales.

Durant la crise sanitaire du COVID-19, l’industrie pharmaceutique algérienne a brillé par son inefficacité. Ni Saidal ni les autres groupes privés n’ont pu permettre à l’Algérie de s »équiper en urgence en masques de protection ou en divers équipements médicaux. L’industrie locale est rarement axée sur la recherche et privilégie uniquement la politique du générique en négociation des licences de production avec les fabricants mondiaux. Manque d’innovation et d’expertise scientifique, ces deux éléments ont empêché la réussite de la production nationale des produits pharmaceutiques.

Dans ce contexte,  il parait impossible pour l’Algérie de réduire sa facture d’importation des médicaments. Le même constat est à dresser dans les autres secteurs comme par exemple l’industrie agroalimentaire. La facture d’importation des produits alimentaires a atteint près de 6,2 milliards de dollars (mds usd) sur les neuf premiers mois de l’année 2019, contre 6,61 mds usd durant la même période de 2018, enregistrant une baisse de 418,21 millions de dollars (-6,32%). Une baisse médiocre et insatisfaisante pour réaliser des économies en devises au profit de l’Etat algérien.

Représentant plus de 34% de la structure des importations alimentaires, les céréales, semoule et farine pèsent lourdement sur la facture des importations de l’Algérie. Même des baisses de 12 % ont été enregistrées en 2019 par rapport à 2018, l’Algérie continue d’être fortement dépendante de l’étranger. Et si les importations des produits laitiers ont également baissé à 1,24 md usd, contre 1,40 md usd, en recul de près de 155,2 millions (-11,09%), les importations algériennes en fruits comestibles (fruits frais ou secs) se sont ainsi chiffrés à 278,30 millions usd, contre 161,82 millions de dollars, soit une hausse de 116,48 (+72%). Et les importations des animaux vivants ont également progressé à 275,27 millions usd, contre 163,86 millions usd, en augmentation de 111,41 millions usd (+67,98%).

Tebboune espère enfin aboutir à l’interdiction d’importer les produits fabriqués localement, tout en continuant à garantir le fonctionnement des entreprises et les besoins essentiels des consommateurs. Or, le défi de l’Algérie se situe à ce niveau : produire pour ne plus importer et dépenser à l’étranger. La production algérienne est très faible et incapable de satisfaire les besoins du pays dans plusieurs secteurs. Et ce n’est pas en une seule année, celle de 2020, celle qui a été gâchée par la pandémie du COVID-19, que l’Algérie peut enfin se doter d’une production nationale efficace. Il ne faut pas rêver : pour économiser 20 milliards de dollars, il faut, d’abord, apprendre à les produire localement…

 

 

 

 

 

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