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jeudi, avril 25, 2024

Exclusif. Le scandale du système 3 COH ou comment la mafia algérienne a saboté un système moderne de gestion des établissements de santé publique

C’est un dossier sur lequel presque personne n’a osé écrire. Et pourtant, ce scandale explique largement pourquoi les hôpitaux algériens sont restés encore longtemps dans un état de décrépitude et de décadence inouï.  Algérie Part déterre aujourd’hui le dossier du fameux système 3COH. Enquête.

A partir de 2008-2009, l’Algérie reconnaît la nécessité absolue de réformer son système de santé et de l’adapter aux standards internationaux de la modernité. Et pour ce faire, l’Etat algérien donne son accorde pour doter le  ministère de la Santé d’un système de gestion à triple comptabilité au sein des établissements hospitaliers. Il s’agit de la mise en œuvre d’un nouveau système d’information comptable appelé 3COH.

Ce nouveau système de Gestion des Établissements de santé publique avait coûté à l’époque au Trésor Public une enveloppe de 28 milliards de centimes.  22 milliards de centimes ont été dépensés par le ministère des Finances qui devait se doter également de ce nouveau système de gestion, et 06 milliards de centimes pour le ministère de la Santé.

Il faut savoir que le système 3COH est, en réalité, une application informatique basée sur le principe du “triple comptabilité hospitalière” : comptabilité générale, pour calculer les charges ; comptabilité budgétaire pour calculer les dépenses et comptabilité analytique pour calculer rigoureusement le coût de l’acte médical. Le système 3COH avait été mis au point par Nadhir Belbahri, consultant algérien de renommée internationale et  spécialiste en système d’information établi au Canada et qui a tenté ces dernières années de développer des projets en Algérie avec pour principal objectif de permettre aux institutions de son pays de se doter de système d’information capable de recueillir les communications et transferts de données en cas d’urgence et le tout est calculé au plus près en toute transparence.

Le gouvernement algérien succombe ainsi à la « tentation » de la transparence à partir de 2009 puisque le ministère de la Santé et le ministère des Finances avaient été instruits de se doter de ce système.

Au-delà des frais d’acquisition de l’application informatique, les autorités algériennes ont consenti également à des investissements consistant à procéder au réaménagement et l’achat des équipements informatiques au profit de 300 centres de calcul à travers le territoire national.

Et pour mettre en place ce projet,  le gouvernement algérien avait émis une séries des décrets exécutifs et textes législatifs pour l’application de ce système, mais malheureusement sans succès. Explications.  Le gouvernement de l’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia a publié un décret exécutif n ° 09-100 en date du 07 Avril 2009  fixant les conditions et la modalités de la tenue de comptabilité au moyen des systèmes informatiques.

A cette époque-là, cette mission a été confiée au ministère des Finances pour trouver des fournisseurs qualifiés pour l’élaboration de ce système. Le ministère des Finances avait attribué cette tâche à la société Algérienne Présences Internationales représentée par son directeur général BELBAHRI Nadir, le chercheur et expert algérien nous avons parlé précédemment.

Le projet a été officiellement lancé en septembre 2009 et 14 établissements publics algériens de santé (CHU, EHU, EPH, EHS, EPSP) ont été sélectionnés pour réaliser les premiers tests dans le cadre de cette expérience inédite. Ensuite, petit à petit, ce système pilote s’était élargi à plus de 300 établissements publics de santé à travers l’Algérie. Les essaies ont été menés sous  sous la supervision du ministère des Finances représenté à l’époque par l’ancien ministre Karim Djoudi.

La création des premiers centres de calcul a couté des milliards de DA au ministère de la Santé car chaque centre de calcul contient un serveur, une armoire de brassage et au moins 15 puissants ordinateurs. Chaque centre était aménagé selon la taille et besoins réels de  l’établissement de santé publique (CHU, EHU, EPH, EHS, EPSP). Chaque centre de calcul était équipé d’une imprimante en réseau. En parallèle, l’entreprise qui parraine le projet, à savoir Présences Internationales, a formé des centaines d’employés gestionnaires, comptables et des techniciens et ingénieurs ou informaticiens à partir de 2009 jusqu’à 2018.

Les débuts sont prometteurs et les avantages de ce projet sont multiples. Assurer la transparence dans la gouvernance des hôpitaux algériens, éliminer la pénurie des médicaments dans nos hôpitaux en recherchant dons les bases de données des établissements de santé qui ont un surplus de tout médicament et ainsi transférer ces médicaments à un autre établissement de santé qui en a besoin en toute urgence, le transfert des équipements médicaux qui sont inutilisables dans certains établissements à d’autres établissements qui en ont le plus besoin, mettre entre les mains des gestionnaires, qu’ils soient locaux ou centraux (ministère) des informations régulièrement actualisées et   mises à jour en temps réel grâce à des bases de données fiables et accessibles à n’importe quel moment, des bases de données connectées via un DATA-CENTER installé au niveau du siège du ministère de la Santé à Alger, bref ce système 3COH était totalement révolutionnaire et permettait à l’Algérie de moderniser enfin son système de santé archaïque.

Un système qui devait garantir une transparence totale dans la gestion des ressources humaines et les salaires du personnel soignant ou paramédical algérien. Un système qui pouvait gérer et tracer tous les achats des établissements publics de santé. Un système qui pouvait identifier les importateurs ou fournisseurs de tout le secteur de la santé algérien.

Le système 3COH devait aussi offrir une comptabilité analytique (calcul des coûts, le coût d’une hospitalisation, d’une séance de chimiothérapie, d’une séance d’hémodialyse, etc..) nécessaire à la rationalisation des dépenses de la santé en Algérie.

Ce même système permettait de repérer les équipements médicaux en cours d’utilisation ou en pannes.  L’application 3COH permettait de dresser la comptabilité budgétaire en temps réel des hôpitaux et établissements algériens. L’acquisition et la consommation de tous les produits pharmaceutiques et autres produits alimentaires, fournitures de bureau, carburants, produits d’entretiens, tous les achats des hôpitaux algériens pouvaient enfin être traçables et suivies en temps réel sans oublier que les patients algériens devaient disposer d’un dossier médical électronique pour améliorer leur prise en charge hospitalière.

En 2013, le ministère des finances a assuré le suivi de ce projet et le ministère de la Santé a fait de même. Le secrétariat général du ministère de la santé avait délivré une Instruction n°08 en date du 17 Octobre 2013 signée par SAIHI Abdelhak et relative à l’application de ce système 3COH. Malheureusement, un lobby puissant intervient pour saboter la progression de la généralisation du système 3COH à travers les hôpitaux algériens.

Les rumeurs se propagent vite, les mensonges sont colportés un peu partout à travers le pays : ce système est trop coûteux, il ne fonctionne pas, il n’est pas opérationnel, il renforce la bureaucratie, etc. Une campagne de désinformation sans précédent a été orchestrée par le lobby des importateurs, affairistes mercantiles pour semer le doute et la zizanie au sein du gouvernement.

Le gouvernement d’Abdelmalek Sellal avait émis un décret exécutif n ° 14-106 en date du 12 Mars 2014 portant sur le développement du système d’information de la comptabilité la gestion de l’établissement de santé publique.  Dans un second lieu, un autre arrêté  interministériel en date du 30 Octobre 2014 a été signé par l’ex-ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf et l’ancien ministre des Finances, Mohammed DJELLAB. Ce décret fixait les modalités d’application du système informatisé de comptabilité de gestion au sein des établissements publics de santé et dévoilait ainsi la liste des établissements concernés par la mise en œuvre de ce système.

Un autre courrier du secrétariat général du ministère de la Santé en date du 20/10/2015  a été signé par REZKI Ali et adressé à tous les gestionnaires des établissements publics de la santé à travers le pays pour leur exiger de fournir un rapport détaillé sur les acquis de cette application informatisée et un état des lieux des centres de calcul.

Une autre instruction numéro 11 en date du 19/11/2015 a été signée par l’ex-secrétaire général du Ministère de la santé. Cette instruction portait sur la mise en place et le suivi du système comptabilité de gestion au sein des établissements de Santé. Malheureusement, en dépit de cette série incessante d’instructions ministérielles, très peu d’établissements de santé ont travaillé avec ce système informatique. Aucune coordination efficace n’a été mise en place avec le Ministère de la Santé. 

Des études menées sur le terrain par des universitaires algériens spécialisés en économie hospitalière ont démontré que les directeurs et premiers responsables des hôpitaux algériens ne jouent pas le jeu et rejettent ce système informatisé. Il y a des responsables qui négligeaient l’importance de ce système d’information, car l’information ne circulait pas bien entre ces services et le service comptabilité et finance.

En novembre 2018, lors d’un colloque international sur la santé organisé à Tizi-Ouzou, Nadir Belbahri avait lancé cette interrogation lancinante dans une communication :  “Qui a peur du 3 COH ?”, Belbahri répondra que “ce sont ceux qui n’aiment pas la transparence !” “Parce qu’avec ce système, il y a une traçabilité”, avait-t-il expliqué, se demandant comment un tel système, qui fonctionne pourtant techniquement, a-t-il été mis de côté ? »

Aujourd’hui, en pleine pandémie du coronavirus COVID-19, les hôpitaux algériens auraient pu profiter du module DEP (Dossier Électronique du Patient) inclut dans le système 3COH qui incorpore de nouvelles fonctionnalités qui permettent l’enregistrement et l’exploitation de données relatives au dépistage du COVID-19. Ce module aurait du offrir une fiche de dépistage et questionnaire spécifique, un enregistrement des résultats, une analyse des résultats ainsi que des statistiques spécifiques (âge, genre, régions, professions …).

Malheureusement, le système 3COH est tombé à l’eau et personne ne veut en parler au ministère de la Santé. Algérie Part poursuit ses investigations et publiera prochainement de nouvelles révélations sur ce dossier.

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