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samedi, avril 20, 2024

Enquête. Pourquoi l’Algérie ne peut pas fournir plus de gaz à l’Europe « en cas de difficultés »

Les autorités algériennes ont fait miroiter aux pays de l’Union Européenne l’espoir qu’elles peuvent voler à leurs secours si la Russie de Vladimir Poutine décide de riposter aux sanctions financières et économiques internationales en réduisant drastiquement les livraisons de gaz naturel. Plusieurs dirigeants algériens et à leur tête, le patron de la compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach, tentent de faire croire aux européens que l’Algérie peut fournir davantage de gaz à l’Europe, en cas de baisse des exportations russes avec la crise ukrainienne, en l’acheminant notamment via le gazoduc Transmed reliant l’Algérie à l’Italie.

Il s’avère que cette annonce faite par les autorités algériennes est tout simplement fausse et infondée. Malheureusement, l’Algérie n’a nullement la capacité de couvrir les immenses besoins des pays de l’Union Européenne qui dépendent à hauteur de 43 % du gaz russe pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires comme le chauffage domestique, la production de l’électricité ou le fonctionnement des unités de leur tissu industriel. En effet, plus de 43 % du gaz importé dans l’Union européenne provenait de Russie en 2020.

De son côté, l’Algérie couvre à peine 11 % des besoins en gaz naturel des pays de l’Union Européenne. Et ses réserves sont limitées sans oublier que sa production nationale ne pourra en aucun cas monter encore crescendo pour grappiller de nouvelles parts de marchés en Europe.

Les chiffres sont effectivement éloquents. La production nationale du gaz naturel s’élève à 130 milliards de mètres cubes. Cette production nationale stagne depuis 2018 et elle peine à progresser en raison de la diminution des réserves existantes et du coût très onéreux des investissements nécessaires pour exploiter l’ensemble des gisements abritant potentiellement des réservoirs importants en gaz naturel.

La majeure partie de cette production nationale est destinée à la satisfaction des besoins… nationaux. Depuis 2020/2021, des rapports internes au sein de Sonatrach consultés par Algérie Part démontrent que plus de 60 % du gaz naturel produit par l’Algérie est orienté exclusivement vers les divers besoins nationaux.

En effet, rien que la consommation domestique via le raccordement au réseau de gaz naturel, ce qui est appelé communément gaz de ville en Algérie, nécessite la consommation de 48 milliards mètres cubes par an. A ces volumes considérables, il faut rajouter d’autres grosses quantités de gaz naturel indispensables pour la production de l’électricité. Il faut savoir qu’en Algérie, pas moins de 99 % de l’électricité consommée par les Algériennes et Algériens est produite à partir… du gaz naturel. Depuis 2020/2021, la production de l’électricité nécessite une consommation annuelle dépassant les 20 milliards de mètres cubes.

La Sonatrach utilise également d’importants volumes de gaz naturel pour les réinjecter dans les puits des hydrocarbures. Il s’agit d’un procédé très important pour le maintien en vie des gisements de nos hydrocarbures. Le recyclage du gaz naturel ou d’autres gaz inertes permet d’augmenter la pression dans le puits, provoquant la dissolution de plus de molécules de gaz dans le pétrole abaissant ainsi sa viscosité et augmentant le débit à la sortie du puits. La technique de la réinjection de gaz concerne la réinjection de gaz naturel dans un réservoir souterrain, généralement dans un réservoir contenant déjà à la fois du gaz naturel et de pétrole brut, afin d’augmenter la pression dans le réservoir et ainsi augmenter le débit de pétrole brut ou encore séquestrer le gaz qui ne peut pas être exporté. Après que le brut ait été pompé, le gaz naturel est une fois encore récupéré. Comme bon nombre des puits découverts partout dans le monde contiennent du pétrole brut lourd, ce processus augmente leur production.

Pour répondre aux besoins de cette réinjection, la Sonatrach consomme annuellement plus de  20 milliards de mètres cubes. La Sonatrach consacre également pas moins de 5 milliards de mètres cubes au torchage de gaz.  Le torchage ou « brûlage des gaz » est l’action de brûler, par des torchères, des rejets de gaz fossile à différentes étapes de l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Il se pratique principalement faute d’infrastructures de traitement et de transport (gazoduc ou unité de liquéfaction) qui permettraient sa commercialisation.

A la fin de toutes ces consommations purement nationales et internes, il ne reste à l’Algérie qu’une quarantaine de milliards de mètres cubes qu’elle peut consacrer aux exportations vers l’étranger notamment l’Europe. Il faut savoir que la consommation nationale de gaz naturel est passée de 32% en 2000 à 62% aujourd’hui, dont 40% en propane, alors que le taux de couverture en électricité, dont la production dépend du gaz, a atteint 99%.

Avec à peine 40 mètres cubes de gaz destinés à l’exportation, l’Algérie est devenu, malheureusement, un petit acteur gazier sur la scène internationale qui ne peut pas afficher de plus grandes ambitions faute d’une production capable de transcender les besoins nationaux. Les investissements nécessaires à l’augmentation de la production nationale de gaz naturel se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards de dollars et sans des investissements étrangers, la Sonatrach ne pourra jamais assumer toute seule cet immense coût financier d’autant plus qu’il faut compter plusieurs années pour entamer l’exploration des nouveaux gisements et ensuite lancer la mise en service de leur production.

Il est à signaler en outre qu’avant la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe fin octobre 2021, l’Algérie disposait d’une capacité de transport de trois gazoducs d’exportation existants vers l’Union Européenne. Cette capacité était estimée à  à 53-57 milliards de mètres cubes. Rien que pour le TransMed/GEM, le gazoduc permettant l’exportation de gaz naturel d’Algérie vers l’Italie via la Tunisie, la capacité est de 33,15 milliards de mètres cubes par an. Pour le GME/GPDF et le Medgaz/GZ4, les capacités de transport sont de 11,6 et de 8 milliards de mètres cubes/an respectivement. Mais en 2020 et 2021, du fait d’une demande gazière assez faible sur les marchés européens, ces trois gazoducs n’ont livré que 26-27 milliards de mètres cubes en 2019, selon la Sonatrach.

Pour cette année 2022, privée du gazoduc Maghreb-Europe qui reliait l’Algérie à l’Espagne via le Maroc, la Sonatrach ne pourra en aucun dépasser le seuil des 30 milliards de mètres cubes d’exportations vers l’Europe.

Algérie Part a pu confirmer au cours de ses investigations que le gaz naturel exporté vers l’Italie par le biais de TransMed est uniquement de 20 milliards de mètres cubes depuis 2019 alors que ce gazoduc livrait à l’Italie jusqu’à 2018 de 28 jusqu’à 29 milliards de mètres cubes.

La baisse de la production nationale algérienne de gaz naturel a contrait la Sonatrach à renégocier les termes de son contrat à long terme qui la lie à la compagnie italienne des hydrocarbures, Eni (Ente Nazionale Idrocarburi). Les deux compagnies ont renouvelé le contrat de vente/achat de gaz naturel à long terme destiné au marché italien en 2019. Elles se sont engagées à le prolonger jusqu’en 2027, soit 8 ans de plus avec une option de deux années supplémentaires jusqu’en 2029.

La baisse de la production algérienne de gaz naturel a contraint les partenaires étrangers de Sonatrach à négocier des contrats de 10 ans, contre des longs contrats de 20 ans auparavant. C’est dire que l’Algérie n’est plus considérée par ses clients européens comme un partenaire aussi fiable comme le prétendent les dirigeants algériens.

Soulignons enfin que le transport du gaz depuis l’Algérie vers l’Italie est assuré, depuis 1983, par le gazoduc Enrico Mattei ou Transmed qui traverse la Tunisie sur une distance de 400 km, de la frontière algérienne au village côtier d’El Haouaria (Cap Bon) en contrepartie d’une redevance de 5,25% sur le gaz transporté. Cette redevance est fournie à la Tunisie soit en quantités de gaz soit en dollars.  L’Algérie exporte aussi annuellement vers l’Espagne un volume de 10 milliards de mètres cubes de gaz naturel via essentiellement le gazoduc Medgaz et du GNL via des navires méthaniers de la flotte de Sonatrach. Sans de nouvelles découvertes importantes de gisements et sans nouveaux projets productions de grande envergure, l’Algérie ne peut pas aller au-delà du seuil actuel qui limite ses exportations de gaz naturel vers l’étranger.

 

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6 تعليقات

  1. La vrai question est pourquoi les européens ont favorisé les gazoducs russes jusqu’à devenir dépendants de Poutine
    Les gazoducs permettent de trouver des financements bancaires , ce qui a permis à la Russie d’attirer des investisseurs pour developer la prospection, la production et l’exportation
    L’Algérie a exporter 56 milliards de M3 de gaz en 2021 en grande partie pour honorer des contrats à long terme
    Si il y’a de nouveaux contrats à long termes, Sonatrach pourrait trouver des financements, attirer des investisseurs, accélérer la prospection mais surtout exploiter plus rapidement les fameux gisements prometteurs du sud ouest ( Timimoun-Adrar)
    Boucler le financement le financement du pipeline Abuja-Hassi Rmel et exporter les 30 milliards du gaz nigérian
    On a les installations, on a les stations de GNL qui tournent actuellement à 50 % de leurs capacités et les gazoducs ( l’italien peut exporter à lui seul 30 milliards de M3 et peut être augmenter grâce à des stations de pompages)
    Le seul souci que nous algériens on se pose : que fera le pouvoir de cette manne?
    Continuer à subventionner les produits agricoles et manufacturiers européens ( blé , voitures , pièces détachés. et bien francais), armements avec un budget colossale de 10 à 12 milliards de $ et financer des projets mais ficelés qui coutent 3 à 5 fois leurs budgets initiales : l’autoroute, les stades, les logements , les lignes de chemins de fer, renflouer à coups de milliards de $ des canard boiteux que sont nos sociétés état : El Hadjar, Enie, Air Algérie, Ex Cnan et Cie
    et perpétuer la corruptions généralisée de ses prédécesseurs …
    Ou, libéraliser l’économie , encourager le secteur privé, les investisseurs algériens et laisser les algériens développer leurs pays et s’occuper du régalien: Police, justice, éducation et armée
    Réduire les déficits, cibler les aides et les subventions aux familles les plus nécessiteuses
    L’état doit se désengager de secteurs entiers, car remettre les clefs de l’économie à des fonctionnaires non qualifiés, mal formés, mal payés comme l’ont fait Boutef, Chadli ou Boumedienne c’est l’échec assuré

  2. Il faut savoir que l’Algérie ce n’est pas la Russie en ressources de gaz naturel. Cette dernière fournit jusqu’à 60% de gaz à l’Europe. Aucun pays au monde ne pourrait combler cette quantité si la Russie venait à stopper le fourniture de son gaz.
    Combien même l’Algérie aurait la capacité de fournir l’Europe en gaz, elle ne pourra pas le faire au détriment de ses relations stratégiques avec la Russie. En effet, Poutine verrai d’un très mauvais œil l’Algérie casser son embargo. Donc là, l’Algérie marche sur les œufs.
    Et puis franchement, la sémantique du makhzen qu’il fournit à ses agents Abdou Semmar, Anouar Malek, Hichem Aboud, et qui consiste à dire que l’Algérie n’a plus de gaz et n’est plus un acteur majeur du secteur est d’une mauvaise foi déconcertante. Le but inavoué de cette brouhaha est de mettre la pression sur les pays occidentaux pour les convaincre à pousser l’Algérie à remettre en marche le gazoduc Maghreb-Europe, pour nourrir le makhzen qui est à l’agonie énergétiquement.