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vendredi, avril 26, 2024

Enquête. Mobilisation de la diaspora : les raisons du grand échec de l’Algérie

C’est, d’abord, un constat qui suscite l’unanimité : l’Algérie ne profite pas du potentiel prometteur de sa diaspora à l’étranger. Ni sur le plan économique ni sur le plan politique, l’Etat algérien n’a jamais su tirer profit des compétences et qualités de sa diaspora en Europe ou en Amérique du Nord. Autopsie d’un échec qui porte un lourd préjudice au développement du pays. 

Les Algériens émigrent et s’établissent à l’étranger, notamment en France, depuis l’Indépendance du pays en 1962. Dés la première de l’indépendance, il a été constaté 70 000 arrivées d’Algériens par semaine en France au dernier trimestre de 1962. En tout et pour tout,  350 000 Algériens se sont établis en France en 1962. A partir de 1982, 820 000 migrants algériens ont été recensés en France. Un mouvement massif d’émigration qui va marquer pour toujours l’Algérie.

Les Algériens établis à l’étranger : un nombre toujours inconnu 

Durant les années 1990, alors qu’une confrontation violente oppose le gouvernement algérien et divers groupes islamistes armés, faisant plus des milliers de victimes civiles, 200000 Algériens auraient émigré selon diverses études réalisées à ce sujet.  On compte parmi eux une part importante de personnes qualifiées. Les pays de destination de l’émigration se diversifient, une partie des émigrés choisit de se rendre en Amérique du Nord et plus particulièrement au Québec. Malgré cette diversification des destinations des migrations algériennes, 85% des Algériens résidant à l’étranger seraient établis en France, selon une étude universitaire qui remonte à 2010.

Aujourd’hui encore, le nombre des émigrés algériens à l’étranger demeure un mystère irrésolu et aucun chiffre fiable n’a pu être recueilli ou établi.  Selon le ministère des Affaires étrangères algérien, environ 1,9 million de personnes sont inscrites auprès des consulats algériens en 2013.  Pourtant Djamel Ould Abbès, l’ex-ministre de la Solidarité Nationale et de la Communauté algérienne établie à l’étranger, annonçait en 2008 que sept millions d’Algériens vivaient à l’étranger, dont 4,5 millions en France.

D’après plusieurs experts, les différences sont dues à un problème de définition. Qui considère-t-on comme Algérien ? Le ministre des Affaires étrangères retient le critère de citoyenneté et d’immatriculation auprès du consulat. Le ministre de la Solidarité nationale, de la famille et de la communauté nationale retenait une définition plus large incluant les enfants d’émigrés sur plusieurs générations.

Selon une étude de L’Institut national de la statistique et des études économiques (l’Insee) publiée en 2012, on comptait 1713000 immigrés algériens et enfants d’immigrés algériens ( au moins un parent né en Algérie ), en France. Mais Ces chiffres excluent la troisième génération et les suivantes ainsi que l’immigration irrégulière. Ces données n’étaient donc pas considérées comme très fiables.

Sur un autre chapitre, il faut reconnaitre que l’intérêt politique pour la diaspora algérienne remonte aux années 70.  La Charte nationale FLN de 1976 indiquait clairement que  l’émigration est présentée comme un « des problèmes graves légués à la Nation par le colonialisme ». Le retour et la réintégration des émigrés sont consacrés comme « objectifs majeurs de la Révolution socialiste ». Le retour est présenté comme un devoir pour les émigrés. L’État algérien s’engage à continuer à défendre les intérêts et à protéger les émigrés, « à leur permettre de sauvegarder et de renforcer, dans l’exil, leur personnalité nationale et culturelle ainsi que celle de leurs enfants » et à faciliter leur réinsertion.

Le quatrième congrès du FLN (27-31 janvier 1979) a confirmé ces orientations politiques en mettant en exergue la nécessité de maintenir un lien culturel avec les émigrés et leurs enfants est de plus en plus affirmée. Le Comité central du parti est chargé « d’organiser l’activité culturelle, sportive et des loisirs en faveur des émigrés en vue de leur faire connaître leur pays et son patrimoine culturel dans le but de faciliter leur réinsertion dans la communauté nationale ». Cette priorité accordée aux politiques de retour est progressivement abandonnée, notamment en raison de l’échec que rencontrent ces politiques.

Un intérêt politique qui remonte à des années 

De plus l’Algérie connaît d’importantes difficultés économiques durant les années 1980. L’argument selon lequel l’Algérie peut intégrer économiquement les émigrés n’est plus pertinent. Durant les années 1980 et 1990, crise économique et violences politiques se conjuguent. L’émigration n’est pas une priorité politique. Le gouvernement algérien organise cependant, en 1995, des assises de l’émigration consacrées à l’organisation de la communauté nationale à l’étranger (CNE), à sa protection et à la contribution potentielle
de celle-ci au développement du pays, sous l’égide du ministère des Affaires
étrangères.

Quelques années plus tard, le programme d’action du gouvernement en direction de la CNE de 2000-2004 conforte ces nouvelles orientations politiques. L’attachement des émigrés et de leurs enfants à l’Algérie est réaffirmé. Le document soutient qu’il est nécessaire de protéger et de renforcer le lien ombilical entre la CNE et l’Algérie. Les trois axes prioritaires d’action définis dans ce programme sont la protection et la défense des intérêts de la CNE, l’organisation de la CNE et sa participation au développement du pays. Le premier axe repose principalement sur le renforcement du réseau consulaire du pays et la facilitation des démarches administratives.

Le second axe est plus hétérogène et vise aussi bien à renforcer les liens culturels entre l’Algérie et ses émigrés ( via la scolarisation dans des écoles algériennes, les centres culturels, la chaîne satellitaire Canal Algérie, etc.), à faciliter les retours vacanciers, qu’à garantir les droits politiques des émigrés. Quant à l’axe concernant l’implication de la CNE dans le développement du pays, il affirme la nécessité de stimuler les transferts d’argent et les transferts de compétences.

Le gouvernement algérien entend «sensibiliser, mobiliser, organiser ces ressources humaines, pour les voir s’impliquer dans l’essor de notre pays, leur faire insuffler à leurs concitoyens leur dynamisme, partager avec eux leur savoir-faire, enseigner aux jeunes générations leur science, et construire avec leurs compatriotes l’Algérie de la dignité et de la prospérité». Le plan d’action pour la période 2008-2013 se fixe comme objectif d’effectuer un bilan de gestion de l’émigration. On y prévoit la création d’un conseil de la communauté nationale à l’étranger et un observatoire algérien de la migration internationale ainsi que la constitution d’un fichier des « compétences nationales établies à l’étranger».

2014 : le constat de la désillusion 

Malheureusement ces plans n’ont jamais abouti à des résultats probants ou concrets.En 2014, le Conseil National Economique et Social (CNES), devenu aujourd’hui le Conseil national économique, social et environnemental (CNESE), a produit un rapport suite à des rencontres organisées avec la Diaspora algérienne à l’étranger dans lequel il dresse le constat de cet échec.

Ce rapport s’alarme même face au risque de voir le sentiment d’appartenance des Algériens établis à l’étranger à leur pays « s’émousser au fil des générations, particulièrement chez les couches qui auront été « mieux intégrées » pour ne pas dire absorbées par les pays d’accueil ». Le même rapport avait appelé à remédier au déficit de réflexion nationale sur ce sujet. Un déficit qui « doit être préalablement comblé avant toute tentative de renouer le dialogue avec la diaspora ».

Ce rapport avait conclu aussi que toutes les tentatives de rapprochement de l’Etat avec la diaspora algérienne ont péché par excès d’idéalisme et d’exaltation des sentiments patriotiques.

« Les tentatives antérieures de rapprochement avec la diaspora ont trop souffert du monopole institutionnel. Les chercheurs à l’étranger doivent être mis en relation directe avec leurs partenaires nationaux (entreprises, laboratoires, centres de recherche-développement…), pour le montage de projets de recherche aux conditions du marché », avait déploré encore la même source d’après laquelle « tout excès d’organisation politico-administrative est nuisible à la fluidité des transferts de compétences ».

« La vraie question qui se pose en réalité, consiste dans la détermination des moyens
d’intéresser ces expatriés afin qu’ils puissent contribuer au développement de leur
patrie en y apportant des « énergies additionnelles et complémentaires » à celles des
élites résidant dans le pays », avait conclu ce rapport du CNES en formulant 40 recommandations concrètes visant à exploiter convenablement le potentiel de la diaspora algérienne à l’étranger. Jusqu’à aujourd’hui, ces recommandations n’ont jamais été prises en considération aggravant ainsi cet échec patent de la politique de l’Etat vis-à-vis des Algériens établis à l’étranger.

 

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