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samedi, avril 20, 2024

Enquête. Malgré 130 millions de dollars USD de subventions et d’aides annuelles, l’Algérie ne produit toujours pas le lait qu’elle boit

L’Etat algérien a consacré des efforts colossaux pour encourager et améliorer la production nationale du lait. Chaque année, l’Etat algérien consacre l’équivalent de 130 millions de dollars USD pour apporter des aides et des subventions aux éleveurs et producteurs de laits. En dépit de cet investissement, l’Algérie vit toujours au rythme des pénuries et de sa dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger. Enquête sur le pourquoi et comment de l’échec de la production nationale de cette incontournable matière alimentaire.

D’abord, un constat et des chiffres. L’Etat algérien apporte un soutien annuel à la production locale du lait frais de plus de 18 milliards de DA, soit l’équivalent de 130 millions de dollars USD. Ce montant de subvention comprend principalement les subventions destinées aux éleveurs de vaches laitières (12 DA par litre), les collecteurs de lait (5 DA par litre) et les laiteries (4 DA par litre).

S’ajoute à cela, une série d’incitations au profit des éleveurs de vaches laitières, dont une subvention de 60.000 DA pour chaque nouvelle naissance de vaches laitières, tout en assurant une couverture vétérinaire et une vaccination gratuite contre la fièvre aphteuse. Il s’avère que ces aides n’ont jamais permis à la production nationale de satisfaire au moins une bonne partie des besoins nationaux. Dans ce contexte, la dépendance aux importations est devenue une véritable maladie qui coûte cher à l’Algérie. Le secteur public importe, à lui seul, une quantité estimée à 180 000 tonnes par an de poudre de lait, destinée à la production de lait en sachet, vendu à un prix réglementé (25 dinars), tandis que le secteur privé importe une quantité estimée à 200 000 tonnes, destinée à la production de lait en carton, vendu à prix libre et de divers produits laitiers (fromage, yaourt …etc).

La facture de ces importations s’élève à plus de 800 millions USD en 2021. L’Algérie dispose, par ailleurs, de 230 laiteries publiques et privées, dont seulement 199 laiteries produisent du lait subventionné (15 publiques et 104 privées). Et pour assurer le maintien du prix du lait subventionné à 25 DA, la marge bénéficiaire est supportée par le Trésor public. En 2019, ce mécanisme budgétaire a obligé l’Etat algérien à verser 41,65 milliards de Da à l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL), soit l’équivalent de 290 millions de dollars USD. Une facture salée, très salée.

Mais pourquoi l’Algérie peine à produire le lait que sa population doit boire au quotidien ? Plusieurs facteurs expliquent, en réalité, cette impuissance flagrante dans un secteur clé et stratégique pour la sécurité alimentaire du pays. Le premier de ces facteurs est, d’abord, la taille petite des exploitations agricoles algériennes ce qui empêche le développement de l’élevage. Plus de 55,3 % des exploitations ont moins de cinq hectares et de ce fait ne sont pas éligibles aux subventions publiques. Une grande partie de ces petites exploitations ont ainsi conservé leur mode de fonctionnement traditionnel avec des circuits informels de vente et hors des circuits industriels subventionnés.

Il faut savoir également que la production laitière bovine représente environ 73 % de la production laitière nationale à côté des productions laitières caprines, ovines et camelines. Cependant, le lait de vache représente la quasi-totalité du lait commercialisé car le lait produit par les autres espèces est destiné soit à l’allaitement des nouveau-nés soit à
l’autoconsommation.

Depuis l’Indépendance, la production laitière bovine affiche un taux de croissance annuel moyen de 5,4 % du fait d’une augmentation du cheptel de 2,7 % par an et d’une amélioration du rendement moyen par vache de 2,7 % par an. Pour améliorer la production laitière locale, l’Etat algérien a beaucoup misé sur l’importation de génisses pleines à haut potentiel génétique. Toutefois, le rendement moyen annuel s’élève seulement à 2100 L/vache contre par exemple 6300 L/vache toutes races comprises.

Selon plusieurs experts et agronomes, ce rendement relativement limité s’explique par l’instabilité des systèmes d’élevage en raison d’une disponibilité limitée des ressources foncières et en eau, la lenteur de la modernisation de l’élevage laitier par insuffisance d’investissements techniques et humains et la préférence des éleveurs pour la valorisation de la production laitière par l’allaitement des veaux. D’autres experts ont identifié d’autres causes pour expliquer la faiblesse continue de la production nationale de lait. Il s’agit notamment du manque d’incitations à la production et la faiblesse du prix minimum garanti, couvrant à peine la hausse des coûts de production. Les éleveurs et producteurs algériens sont aussi grandement touchés par la problématique des ressources naturelles limitées du fait d’un climat semi-aride à aride sur plus de 90 % de la surface du pays, ce qui est un handicap majeur pour la production fourragère qui nécessite des ressources hydriques importantes.

Les exploitations d’élevage laitier en Algérie n’arrivant pas à produire leurs propres intrants sont en effet presque entièrement dépendantes de l’importation de la matière première (maïs, tourteau de soja) utilisée dans la fabrication d’aliments composés. L’affectation par les éleveurs d’une part réduite de la sole de l’exploitation à la production fourragère (concurrence avec les autres cultures, particulièrement les céréales) et les difficultés de l’intensifier en raison d’un régime pluviométrique aléatoire expliquent la faible autonomie alimentaire des exploitations d’élevage bovin laitier. L’Etat algérien a fait  des efforts importants pour remédier à ces problèmes, mais cela reste insuffisant en raison de la croissance importante des besoins de la consommation nationale interne.

Il est à noter enfin que les algériens consomment annuellement 55 litres de lait, en plus de la moyenne mondiale. Les algériens consomment plus que la moyenne mondiale en matière de lait. La consommation annuelle des algériens de ce produit est estimée à 145 litres par an, alors que, la moyenne mondiale fixée par la FAO est de 90 litres/an par citoyen. Faute de pouvoir moderniser l’élevage laitier et en l’absence de solutions concrètes réduisant l’impact de la sécheresse sur les éleveurs, l’Algérie est, malheureusement, condamnée à dépendre de l’étranger pour boire son… lait.

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