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jeudi, avril 18, 2024

Enquête. Comment la sécheresse pourrait déstabiliser dangereusement l’Algérie dans un avenir proche

En plus de la crise financière et économique, l’instabilité chronique de ses institutions politiques, l’Algérie devra affronter la grande menace de la sécheresse qui est en train de mettre péril l’accès équitable de la population algérienne à l’eau potable et porte un énorme préjudice aux rendements de l’agriculture nationale. La sécheresse est devenue même la principale source de préoccupations majeures du gouvernement algérien. Enquête. 

Hier dimanche 27 mars, tous les ministres algériens ont été réunis lors d’un Conseil de Ministres présidé par Abdelmadjid Tebboune, le Chef de l’Etat. Une grande partie de cette réunion a été dédiée à nécessité de renforcer les mesures préservant les ressources hydriques nationales contre la menace grandissante de la sécheresse. 

La sonnette d’alarme tirée depuis avril 2017 

Il faut savoir à ce sujet que cette menace prend une dimension alarmante depuis plusieurs années. En avril 2017, une Analyse de Risque et de Vulnérabilité au Changement Climatique en Algérie réalisée pour le compte du ministère en charge de l’environnement, par un consortium de bureaux algériens et européens dans le cadre d’un projet de coopération avec la GIZ, l’agence allemande de coopération internationale pour le développement,  a permis des analyses sur les secteurs fragiles de l’agriculture et des ressources en eau et établi des cartes à partir des données locales et internationales tels que la carte du « degré de gravité de la sécheresse » établie d’après les données
du World Ressources Institute.

Et d’après les cartes élaborées par cette analyse approfondie, nous retrouvons le degré élevé de gravité de la sécheresse dans l’Ouest algérien. Depuis cette étude, les autorités algériennes savent pertinemment que les chaines de risques et de vulnérabilité ont été identifiées pour 5 domaines, à savoir l’eau, pêche, agriculture, forêt et industrie.  S’agissant de l’eau et l’agriculture, l’Algérie dispose également de cartes permettant de spatialiser le degré de vulnérabilité du territoire. L’analyse des risques et vulnérabilité au changement climatique élaborée par les experts du GIZ en avril 2017 avait indique aussi
que les changements climatiques provoqueront en Algérie d’abord une hausse des températures, une diminution des précipitations totales et une plus grande instabilité de la
répartition des précipitations au cours de l’année.

Ensuite, elle va mener vers  une dégradation du couvert végétal et des sols se traduisant par une érosion plus forte et une accélération de la désertification. Ces résultats ont été confirmés préalablement par les Première (2001) et Seconde (2010) Communications Nationales de l’Algérie sur les changements climatiques. Ces documents fournissent une analyse du climat passé et une prospective de l’évolution climatique attendue aux horizons 2020 et 2050.

Il en émane les conclusions suivantes : au niveau de l’évolution du climat entre les périodes 1931-1960 et 1961-1990 sur les principaux ensembles méditerranéens du pays (Ouest, Centre et Est), il ressort que le réchauffement a été de l’ordre de 0.5°C et que la baisse de la pluviométrie est de l’ordre de 10%.

D’autre part, on assiste depuis des années en Algérie à une intensification des vagues de chaleur ou canicules et à leur occurrence plus grande pouvant se produire en tout mois de l’année. Dans ce contexte, les projections climatiques saisonnières montrent une accentuation de l’augmentation de la température et de la baisse des pluies à l’horizon 2020 et 2100.

L’Algérie est confrontée aussi à une augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes (pluies diluviennes, sécheresses, vagues de chaleur, vagues de froid,
submersions marines, etc.) et une perturbation des zones côtières et des milieux marins.

Et par conséquent, les sécheresses couplées à des vagues de chaleur vont avoir de
fortes incidences sur les domaines d’activités humaines (Eau, Agriculture, Energie,
Santé) et la vie des populations. L’examen des vulnérabilités de l’Algérie aux changements climatiques indique qu’il est impératif d’adapter et de renforcer la résilience des milieux naturels et des infrastructures.

Face à ces périls inquiétants, l’Algérie dispose d’ores et déjà d’un arsenal juridique qui lui permet de passer à l’action pour limiter les dégâts de la sécheresse. Sur l’aspect juridique la loi n° 05-12 du 4 août 2005 relative à l’eau10 prévoit dans son article 56 relatif aux plans directeurs d’aménagement des ressources en eau « a prévention et la gestion des risques liés aux phénomènes naturels exceptionnels, tels que la sécheresse et les inondations ».

Dans son article 91 il est dit « En cas de calamités naturelles et notamment en situation de sécheresse, l’administration chargée des ressources en eau peut prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des utilisations d’eau ou procéder à des réquisitions en vue de mobiliser les eaux nécessaires pour lutter contre les sinistres et pour assurer, en
priorité, l’alimentation en eau des populations et l’abreuvement du cheptel ».

La baisse de la pluviométrie et les cycles de sécheresse sont pris en compte lors de la définition de la politique nationale de l’eau par le biais du « Plan National de l’Eau (PNE) » qui a été adopté en février 2007 et qui est en cours de révision. Le PNE étalé jusqu’à l’horizon 2025 est un outil de planification souple et évolutif. Il a pour principaux objectifs d’assurer une durabilité de la ressource et de créer la dynamique de rééquilibrage territorial.

Il est également question de créer et renforcer l’attractivité et la compétitivité tout en garantissant une bonne gouvernance de l’eau. Force est de constater que l’Algérie dispose de plusieurs institutions et directions directement impliquées dans toute action d’atténuation de la sécheresse. Il s’agit, à titre d’exemple, de l’Agence Nationale des Ressources Hydrauliques ANRH qui a pour mission de mobiliser ses réseaux d’observation climatiques, hydrologiques, hydrogéologiques, de qualité chimique et bactériologique des eaux. Elle peut aussi réaliser des inventaires, études, expertises et conseil dans l’implantation des points d’eau supplémentaires.

L’Algérie dispose aussi de  l’Agence Nationale des Barrages et Transferts ANBT qui est régulièrement impliquée dans la gestion du risque et de toute crise liée à cet aléa par la fourniture des données sur les apports et autres données climatiques relevées sur les stations d’observations implantées sur les sites des barrages et la réalisation de travaux de raccordement et de transfert d’eaux inter barrages pour équilibrer les dotations en eaux entre les régions et diminuer le stress hydrique.

Il existe officiellement en Algérie la police des eaux, mais elle demeure entièrement méconnue de l’opinion publique nationale. Pour utiliser à bon escient toutes ces institutions, l’Algérie doit plus que jamais réactiver son plan national de lutte contre la sécheresse qui a été finalisé à fin 2018 pour être mis en œuvre dès 2019. Ce plan est resté, pour le moment, une simple annonce et son application rigoureuse n’a pas vu encore le jour en dépit de toutes les urgences auxquelles est confrontée l’Algérie.

Un plan national de lutte contre la sécheresse 

Ce plan a été élaboré  par l’expert algérien Safar Zaitoun, désigné par la Convention des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), en partenariat avec plusieurs organismes et les centres de recherche nationaux. Le but de ce plan est de bâtir un système fiable et fonctionnel pour faire face au problème de sécheresse et de se préparer à une résilience efficace en Algérie.

Ce plan s’inscrit officiellement dans le cadre de la mise en œuvre des décisions approuvées lors de la COP13 tenue à Ordos (Chine) en septembre 2017. Et dans ce sillage, l’ONU octroie son aide aux pays les plus touchés par la sécheresse ou la désertification. Ainsi, sur les 34 pays qui ont été sélectionnés en 2018, figurent 20 pays africains dont l’Algérie.  Dans ce sens, un appel à candidature pour la sélection d’experts avait été lancé par l’UNCDD afin de charger ses experts d’élaborer un plan de lutte contre la sécheresse spécifique à chaque pays concerné par ce plan d’aide.

Soulignons enfin que l’Algérie envisageait en 2018 d’adhérer à un autre projet onusien intitulé « Initiative Grande Muraille Verte » dans le cadre du fonds Climat Vert afin de pouvoir financer la réhabilitation du Barrage vert du pays. Le Grande Muraille Verte est un vaste projet de la FAO contre la désertification qui concerne toute l’Afrique de l’est à l’Ouest et nous souhaitons en faire partie. À cet effet, l’Algérie avait déjà déposé sa candidature auprès de la FAO pour un certain nombre de projets dans le cadre de ce programme.

Fin septembre 2020, la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) avait souligné que seule une vaste coopération intersectorielle permettra de lutter contre la dégradation du plus grand système aquifère du Maghreb/d’Afrique du Nord, partagé par l’Algérie, la Libye et la Tunisie.

Partagé par l’Algérie, la Libye et la Tunisie, le Système aquifère du Sahara septentrional (SSAS) est la plus grande réserve d’eau souterraine d’Afrique du Nord. Cette réserve représente l’équivalent d’une surface égale à presque deux fois la superficie de la France métropolitaine et recèle plusieurs centaines, voire milliers, de mètres de profondeur.

La SSAS s’étend sur les territoires algérien, tunisien et libyen en continu de l’Atlas saharien dans le nord jusqu’au Tassili du Hoggar au Sud. Ce réservoir d’eau souterraine, parmi les plus grands du monde, assure la vie et les moyens de subsistance de 4,8 millions d’habitants. Ressource vitale en eau s’étendant sur plus d’un million de kilomètres carrés dans un environnement très aride, le système aquifère est naturellement vulnérable en raison de sa faible recharge naturelle.

Pour parer à cette vulnérabilité, le rapport de la CEE-ONU avait mis l’accent sur l’importance d’un partenariat stratégique et d’une coopération intersectorielle et transfrontalière. Par exemple, l’une des solutions proposées consiste à accroître l’utilisation des ressources en eau non-conventionnelles en recourant au dessalement, au traitement des eaux usées et au traitement ou à la réutilisation des eaux de drainage. « Dans ce contexte, le déploiement simultané d’énergies renouvelables – l’énergie solaire en particulier – pourrait contribuer à créer des avantages majeurs pour les secteurs de l’eau et de l’énergie », avait déclaré le porte-parole de la CEE-ONU, Jean Rodriguez, lors d’un point de presse virtuel depuis Genève.

Depuis les années 1970, l’Algérie, la Libye et la Tunisie ont développé une coopération en matière d’échanges d’informations et de consultations qui permet d’éclairer la gestion de l’aquifère partagé. Mais les crises politiques ayant déstabilisé au cours des dernières années les Etats de la région et l’absence d’une intégration régionale réelle et efficace, ont beaucoup compromis ces échanges et cette coopération. L’Algérie avait pris part à la 6ème réunion du comité de pilotage de l’Initiative de la Grande muraille verte du Sahara et du Sahel (GGWSSI) qui s’était déroulée du 23 au 27 novembre 2021 à Djibouti. Mais pour le moment, une seule initiative a été lancée en Algérie pour ralentir les dégâts de la sécheresse. Il s’agit du lancement au niveau africain de l’initiative nationale sur la restauration du Barrage vert qui avait été lancé officiellement au niveau local le 17 juin 2021 à M’sila. Or, cette unique initiative est, malheureusement, loin de pouvoir répondre à toutes les urgences soulevées par la problématique de la sécheresse en Algérie.

 

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