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vendredi, mars 29, 2024

Enquête. Comment la Protection Civile a mal géré les 640 millions de dollars qui ont été accordés pour son développement

Depuis les dégâts humains et matériels considérables des récents feux de forêt ayant ravagé en août 2021 la Kabylie et plusieurs autres wilayas du nord du pays, la Protection Civile est au coeur de tous les débats et les polémiques en Algérie. Privés de moyens moderne pour mener des interventions contre des sinistres naturels de grande ampleur, la Protection Civile algérienne a soulevé les interrogations des algériennes et algériens sur ses capacités réelles à protéger la vie des citoyens contre les périls les plus complexes. En vérité, les pompiers algériens se retrouvent aujourd’hui dans une situation de précarité parce que leur direction générale a longtemps mal géré les budgets qui ont été alloués au développement de ce corps stratégique. Enquête. 

Il faut, d’abord, savoir que la protection civile en Algérie est chargée d’une mission de service public visant la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les risques naturels et industriels.  Cette mission englobe, notamment les évacuations sanitaires ainsi que la prise en charge des aléas induits par une urbanisation non maitrisée, des risques multiformes inhérents à l’activité industrielle et commerciale et des périls naturels et risques technologiques.

Conscientes des risques majeurs liés aux catastrophes naturelles et industrielles et leur impact sur la sécurité des personnes et des biens, les autorités algériennes ont consacré des programmes d’équipements importants au profit de la Direction générale de la protection civile (DGPC) afin de combler le déficit accusé en infrastructures et moyens d’intervention.

Il faut savoir que ces derniers se limitaient, avant 2006, à l’existence de 321 structures d’intervention constituées, principalement, des structures de récupération ne répondant pas aux normes de fonctionnalité et de vie en casernement d’une part, et d’un effectif en deçà des besoins réels induits par l’ampleur des taches et les risques potentiels à prendre en charge, d’autre part.

Pour remédier à ce problème structurel, entre 2005 et 2016, l’Etat algérien a consenti à différents programmes d’investissements pour moderniser la Protection Civile. Ces investissements dépassé durant cette période les 88,3 milliards de Da, soit l’équivalent de plus de 640 millions de dollars, a pu confirmer Algérie Part au cours de ses investigations. Rien que durant la période allant de 2005 jusqu’à 2009, l’Etat algérien a investi un montant de 35,120 Mrds de DA, réparti entre 14,992 Mrds de DA pour la réalisation d’infrastructures et 20,128 Mrds de DA pour l’équipement de 48 sièges de direction de wilaya, 31 unités principales, 338 unités secondaires et 17 postes avancés.

Entre 2010 et 2014, l’Etat algérien a pris en charge l’acquisition ou la réalisation de 90 unités secondaires d’intervention dans les daïras non pourvues, la construction de 4 sièges de direction des villes d’Alger, Tipaza, Mascara et Batna et de 16 unités principales destinées à intensifier le potentiel existant, notamment celui des grandes agglomérations du fait de leurs tailles et des risques aggravés qu’elles encourent par rapport à certains aléas dont le risque sismique et technologique, la réception de 3 unités de secours marins (Boumerdès, Tizi Ouzou et Mostaganem), l’ouverture d’une  école nationale de plongée et secours maritimes et l’extension des annexes de formation destinées à la prise en charge du recrutement de 40 828 agents en vue de renforcer et d’améliorer le niveau de formation
dans ce domaine.

Durant la même période, les autorités algériennes ont construit  1000 logements répondant aux exigences de l’astreinte qui sied au métier du sapeur-pompier, elles ont financé aussi le renforcement des capacités de transport de 150 véhicules la rénovation et la maintenance du parc automobile, l’accroissement des capacités des unités d’intervention au titre du secours aérien par l’acquisition d’un hélicoptère.

Ces budgets ont servi à financer  pas moins de 116 opérations d’équipement.  Quant à l’effectif de la Protection Civile, il est passé de 30 000 agents à 50 157 agents, déployés à travers les différentes structures et unités d’intervention. Ces effectifs ont été dotés d’une formation de qualité en adéquation avec l’évolution des risques et des missions menées.

Malheureusement, en dépit de ces efforts importants, la Protection Civile algérienne a accusé encore de nombreux retards dans la modernisation de ses interventions et ses équipements. Pourquoi ? Parce qu’un incroyable manque de rigueur dans l’exploitation de ces budgets publics a été observé lors de plusieurs audits internes menés au sein de la Direction Générale de la Protection Civile pour vérifier sa trésorerie et la gestion de ses finances.

Ainsi, les investissements consentis par l’Etat n’ont pas permis à la Protection Civile algérienne de se montrer à la hauteur des attentes ou besoins des algériens en raison d’une terrible maladresse commise lors du déploiement des unités des pompiers sur le territoire national. Il s’avère, ont conclu de nombreux audits internes menés à la demande du gouvernement et de la Présidence de la République, que le processus de construction de nouvelles casernes ou unités d’intervention de la Protection Civile n’a pas été fondé sur des études techniques permettant de prioriser les actions en fonction des risques potentiels pour ne retenir que les opérations d’équipement ayant atteint un niveau de maturité suffisant permettant leur lancement dans l’année de leur inscription.

« Les critères pris en compte dans la programmation se rapportant à la situation géographique de la commune, à sa population et aux établissements recevant le public et les risques naturels et/ou industriels potentiels de la région, sont donnés d’une façon sommaire et non adossés sur des études scientifiques, d’où leur manque de fiabilité pour l’implantation appropriée des unités d’intervention », indique ainsi l’un de ces audits consultés et obtenus par Algérie Part lors de ses investigations.

D’autre part, les auditeurs dépêchés pour éplucher les comptes et la comptabilité de la Direction Générale de la Protection Civile ont constaté aussi que l’implantation des unités d’intervention n’est pas opérée sur la base d’une analyse approfondie des risques, en termes de leur ampleur et leur occurrence pour garantir un emploi optimal des moyens mobilisés et une couverture suffisante des différents risques naturels et technologiques.

C’est ce qui explique que certains zones ou wilayas fragiles disposent d’une présence faible, voire symbolique des forces de la Protection Civile. C’est pour cette raison que lors des sinistres naturels, de nombreuses victimes sont à déplorer ou des dégâts matériels importants sont recensés.

Notons enfin qu’en plus de missions de secours et de sauvetage, les services de la protection civile se sont vus confiés, d’autres missions devant échoir, normalement, à d’autres organismes telles que, l’alimentation de la population en eau potable, l’implantation ou le démantèlement des camps de toile initiés dans le cadre des opérations de recasement et la mise en place de dispositifs de proximité d’urgence à l’occasion du déroulement de manifestations à caractère sportif et socio-économique.

Or, ces tâches ont alourdi le fonctionnement de la Protection Civile algérienne car ses effectifs se sont retrouvés engagés sur plusieurs fronts sans avoir la formation nécessaire ni les moyens adéquats pour mener à bien toutes ces missions. « Cette dispersion des moyens, outre qu’elle participe à la dilution des responsabilités, expose les sauveteurs à des charges de travail qui affectent indéniablement la bonne maîtrise des tâches qui leur incombent », a souligné en dernier lieu l’un des audits que nous avons pu obtenir au cours de nos investigations.

 

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