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mardi, avril 16, 2024

Enquête. Comment et pourquoi Tebboune a donné 24 H au DG d’Ooredoo Algérie pour quitter le territoire national

Nickolai Beckers, le DG d’Ooredoo Algérie, est au coeur d’une véritable tempête politique en Algérie. Ce mercredi 19 février, pour la première fois, la Présidence de la République, sur ordre d’Abdelmadjid Tebboune, a décidé d’expulser manu militari un manager étranger d’une grande entreprise, à savoir un opérateur de téléphonie mobile considéré comme l’un des acteurs du marché national. Il s’agit d’une entreprise qui réalise un chiffre d’affaires dépassant les 800 millions de dollars par an.

Appartenant officiellement au groupe qatari Ooredoo Corporate basé à Doha. Il s’agit d’une multinationale dont les revenus chaque année avoisinent les 9 milliards de dollars. Nikolai Beckers est le directeur général d’Ooredoo Algérie depuis le début du mois d’août 2019. De nationalité allemande, Nikolai Beckers compte à son actif de 20 ans dans le secteur des télécommunications et technologies de l’information. Diplômé dans la gestion des affaires de l’université de Cologne, M. Beckers a assuré des postes de responsabilité dans de nombreuses multinationales européennes et asiatiques dont l’allemande Deutch telecom et la française T-Online. Les deux derniers postes que M. Beckers a occupés avant d’arriver à la tête d’Ooredoo Algérie l’ont été à la tête de l’opérateur azéri Baku Cellular Communication et Telecom Romania.

Depuis août 2019, ce manager allemand a privilégié une seule stratégie : réduire les charges pour améliorer les revenus. Baisse des dépenses publicitaires, revoir les investissements, changement majeur dans la gestion des ressources humaines, bref Nikolai Beckers a développé une stratégie agressive consistant à réduire au maximum les charges de Ooredoo Algérie afin qu’elle puisse retrouver une rentabilité perdue ces dernières années en Algérie.

Le processus commence par le changement et remplacement  des anciennes antennes relais. Ooredoo Algérie conclut un marché et accord avec l’opérateur de télécommunications chinois de Télécommunications ZTE. De nouvelles antennes ont été achetées et installées. Mais pour réduire les coûts, Nikolai Beckers décide de ne pas acquérir la solution d’optimisation des réseaux mobiles qui permet de connecter toutes les antennes relais dans un vaste réseau géré de manière optimale et efficace.

En plus, Ooredoo Algérie a acquis auprès du chinois ZTE des équipements dont la qualité reste encore à désirer. Et les conséquences de ce choix dicté par la logique des réductions des coûts ont été catastrophiques puisque tous les Algériens ont constaté une nette détérioration du réseau de l’opérateur qatari en Algérie qui s’explique par la mauvaise qualité des équipements BTS du fabricant chinois ZTE. Depuis l’été 2019 l’équipementier chinois en télécoms est le principal fournisseur d’Ooredoo Algérie en  BTS ou base transceiver station, en français station de transmission de base ou station émettrice-réceptrice de base. Ces équipements sont des antennes qui doivent assurer la couverture réseau sur chaque parcelle du territoire algérien

Cependant, la qualité et le niveau du réseau d’Ooredoo a commencé à se détériorer depuis que le groupe qatari a préféré résilier son contrat avec son fournisseur initial Ericsson pour recourir aux servies du chinois ZTE. Dans l’optique de réduire les coûts et de faire des économies substantielles, une stratégie dessinée par la maison-mère à Doha, les responsables d’Ooredoo Algérie ont été contraints de changer leur équipementier pour se rabattre sur les tarifs réduits et alléchants proposés par ZTE. Malheureusement, la qualité du service n’est pas équivalente et les antennes du chinois ZTE ne semblent pas pouvoir offrir une couverture du territoire exemplaire avec une bonne qualité du niveau de réception, a-t-on appris au cours de nos investigations.

Ces choix ont causé des coupures intempestives sur le réseau d’Ooredoo Algérie provoquant ainsi la colère de ses usagers.  L’Autorité de régulation de la poste et des communications électroniques (ARPCE) est même sortie de son silence quant à la panne quasi générale qu’a connue l’opérateur mobile qatari, Ooredoo Algérie, sur ses réseaux 2G, 3G et 4G le 18 août 2019. Le régulateur télécoms avait, en effet, sommé la société télécoms de s’expliquer sur ces dysfonctionnements qui se sont traduits par « une interruption des services Voix et Internet, causant ainsi d’importants désagréments pour les usagers ».

L’ARPCE qui avait souligné à l’époque que que la panne intervenue sur le réseau d’Ooredoo Algérie viole les obligations du cahier des charges en matière de continuité, qualité et disponibilité des services, lui a demandé de lui fournir tous les « éléments techniques » y afférents.

En plus de ces soucis techniques provoqués par une stratégie de « low-cost » exagérée, Ooredoo Algérie n’a pas consenti à des efforts pour moderniser son principal centre technique et opérationnel situé à Birkhadem (Alger) par lequel transite 60 % du trafic de son réseau mobile. Une surcharge qui inquiétait les techniciens algériens d’Ooredoo depuis longtemps, mais malheureusement la direction générale de l’opérateur qatari établi en Algérie n’a jamais voulu prendre en considération les avertissements de ces ingénieurs algériens.

Pis encore, Nikolai Beckers a établi un plan de réduction des effectifs qui touche de plein fouet les ingénieurs et techniciens algériens. Le manager allemand a chargé son directeur des opérations l’algérien Nacer Eddine Mayout de commencer le démantèlement du service du personnel technique dans l’optique d’externaliser la gestion du réseau mobile et de la confier à une nouvelle entité extérieure à Ooredoo Algérie.

De ce fait, le plan social imaginé par Nikolai Beckers devait mener au licenciement de plus de 400 employés algériens. Et avec le démantèlement du service technique de contrôle et gestion du réseau au profit d’une nouvelle entité, ces licenciements vont atteindre près de 900 employés algériens.

Ces décisions ont provoqué l’indignation des travailleurs algériens qui se sont constitués en un syndicat pour saisir les autorités algériennes. Ces travailleurs multiplient les pressions et adressent des rapports internes accablants aux autorités algériennes. Le dossier atterrit sur le bureau du Président Tebboune.

Ce dernier est, de prime abord, choqué par l’ampleur des licenciements que veut appliquer Nikolai Beckers. Il réclame au ministère des Affaires Etrangères de prendre contact avec l’ambassade du Qatar, les qataris sont les propriétaires d’Ooredoo Algérie, et exige au ministère des Finances et d’autres services compétents concernés par ce dossier de prendre attache avec Nikolai Beckers afin de lui réclamer des explications et lui faire part des inquiétudes de l’Etat algérien face à ce plan social très sévère.

Aux responsables algériens qui ont pris le soin de le contacter, Nikolai Beckers répondra qu’il est le seul maître à bord à Ooredoo Algérie. Et comme il s’agit d’une société privée et étrangère, en tant que DG, il a estimé avoir entièrement le droit de prendre les décisions qui s’impose pour préserver la rentabilité de son entreprise. Cette réponse parvient au Palais Présidentiel d’El-Mouradia. Tebboune entre dans une véritable colère noire et refuse d’accepter le diktat du DG allemand d’Ooredoo Algérie. Il réclame aux ministères des finances une enquête approfondie sur toutes les opérations financières d’Ooredoo Algérie notamment les transferts de devises à la maison-mère au Qatar. Mais Tebboune ne s’arrête pas-là et décide d’ordonner l’expulsion de Nikolai Beckers ce mercredi matin et il lui donne 24 H pour quitter le territoire national.

Après une réunion d’urgence au Sheraton, Nikolai Beckers est convoqué par une commission mise en place par le ministère des Finances pour qu’il soit auditionné à propos de certains transferts douteux des devises d’Ooredoo Algérie à l’étranger. Vers midi, Nikolai Beckers revient à son bureau à la direction générale d’Ooredoo Algérie située à Ouled Fayet. Il sera surpris de constater que la gendarmerie nationale a dépêché plusieurs éléments et des véhicules pour l’accompagner jusqu’à l’aéroport international d’Alger dans le cadre d’une opération de reconduction aux frontières. Nikolai Beckers n’est plus le bienvenu en Algérie et il devra quitter le pays laissant derrière lui un opérateur  de téléphonie mobile dans une profonde tourmente. Et la crise ne fait que commencer.

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