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mercredi, avril 24, 2024

Documents exclusifs. Après les finances, le code pénal et les hydrocarbures : le régime algérien prépare des changements dangereux au Code du Travail

En Algérie, un nouveau Code du travail est au stade de projet depuis 2011, c’est-à-dire depuis plus de huit ans. Et ce projet, il n’a toujours pas été adopté suscitant les craintes et les appréhensions de toutes les organisations syndicales et les connaisseurs du monde du travail. Et pour cause, le régime algérien prépare des changements dangereux qui vont réduire les libertés des Algéries et les soumettre à des contraintes qui remettront en cause certains droits fondamentaux des travailleurs algériens. Explications. 

 

Ce projet de modification du code de Travail et les modifications voulues par le régime algérien pour compléter la loi Numéro 90/14 juin 1990 relative à l’exercice du droit syndical dans notre pays ont été élaborés discrètement dans les laboratoires du régime algérien sans aucune concertation avec les représentants des employeurs et des travailleurs algériens. Aucune consultation sérieuse n’a été menée depuis 2017. Le gouvernement algérien a voulu changer de méthode en procédant d’abord à une révision de certaines dispositions de l’avant-projet de Code du travail considérées comme prioritaires sans prendre en considération l’avis et l’expertise du partenaire social, à savoir les syndicats défendant les intérêts des travailleurs algériens.  Ce processus dure déjà depuis suffisamment de temps, et les travailleurs algériens l’affirment haut et fort : ils n’ont plus le temps d’attendre encore huit ans supplémentaires.

En attendant, comme il avait été constaté par une mission de haut niveau du BIT qui s’était déplacée en Algérie du 21 au 23 mai 2019, dans le cadre de la mise en œuvre des conclusions de la 107e session (juin 2018) de la Commission de l’application des normes internationales, aucune amélioration n’a été enregistrée en Algérie concernant l’article 6 de la loi no 90-14 du 2 juin 1990 qui limite le droit de fonder une organisation syndicale aux personnes de nationalité algérienne, d’origine ou acquise, depuis au moins dix ans. Et pourtant, conventions internationales fondamentales impliquent que tous ceux qui séjournent sur le territoire d’un Etat, qu’ils aient ou non un permis de résidence, bénéficient des droits syndicaux prévus par la convention, sans aucune différence fondée sur la nationalité.

Beaucoup de paroles, peu d’actes 

Par ailleurs, aucun changement n’a non plus été enregistré en Algérie concernant les dispositions qui ont pour effet de limiter la constitution des fédérations et confédérations.  Face à la pression des responsables du BIT, l’Etat algérien a toujours tenté de se défendre, mais tout en restant au registre des paroles sans passer à celui des actes.

Du temps perdu que le régime algérien a voulu économiser pour procéder au changement de certaines parties de l’avant-projet du Code du travail et à la modification de la loi no 90-14.

Cette situation anarchique permet au gouvernement algérien de  faire preuve d’arbitraire dans ses décisions d’enregistrement des organisations syndicales. C’est ainsi que certaines confédérations se voient refuser l’enregistrement au motif qu’elles ont des affiliés de plusieurs secteurs, alors que d’autres se trouvant dans la même situation sont bien enregistrées.

Un autre problème fondamental qui a également été pointé par la mission du BIT venue à Alger en mai 2019 concernant l’application de certaines dispositions qui ont pour conséquence de limiter dans les faits la liberté syndicale. Cela concerne l’absence d’une protection efficace contre le licenciement et la discrimination syndicale, mais aussi la difficulté à obtenir une réintégration en cas de décision judiciaire favorable. Mais cela concerne également la limitation de l’accès aux fonctions syndicales en exigeant la qualité de salarié pour exercer ces fonctions.

Cette situation pose deux problèmes majeurs de compatibilité avec la convention. D’une part, le licenciement d’un responsable syndical lui fait perdre cette qualité, ce qui laisse la voie ouverte à une ingérence de l’employeur dans le fonctionnement de l’organisation syndicale. D’autre part, et plus largement, cette exigence constitue également une ingérence par les autorités dans le fonctionnement des organisations syndicales qui, en vertu de la convention, ont le droit de choisir librement leurs représentants.

Force est également de constater qu’en Algérie, l’enregistrement des syndicats dans la pratique continue toujours de susciter d’autres problèmes. Il s’agit en l’occurrence des délais particulièrement longs pour l’enregistrement des syndicats ou des refus sans motif des autorités d’enregistrer les syndicats autonomes, et ce depuis de nombreuses années.

La mission du BIT avait également relevé ce point et a pu s’apercevoir que, dans de nombreux cas, les décisions de refus sont lapidaires, non motivées et par conséquent arbitraires. Rappelons qu’aux termes de l’article 2 de la convention la constitution d’une organisation syndicale ne peut pas être soumise à une autorisation préalable. Précisons au passage qu’en raison de cette non-reconnaissance de plusieurs organisations celles-ci sont exclues de la participation aux structures et consultations tripartites si bien qu’elles n’ont pas été consultées sur les différentes réformes et révisions.

Absence de droits élémentaires pour les organisations syndicales 

La situation en Algérie est en fait l’illustration de ces deux cas de figure: les autorités ont un pouvoir discrétionnaire pour refuser l’enregistrement, et le non-enregistrement est similaire à une interdiction. En effet, sans enregistrement, l’organisation syndicale n’est pas reconnue et, donc, pas consultée. Elle ne dispose pas des droits les plus élémentaires comme celui d’ouvrir un compte bancaire ou louer un local.

De plus, il est piquant de constater que les organisations non reconnues sont celles qui ont eu recours aux organes de l’ Organisation International du Travail (OIT) pour défendre leurs droits. Des poursuites ont d’ailleurs été intentées contre une organisation et un responsable syndical sur la base d’éléments contenus dans une plainte adressée au Comité de la liberté syndicale. Les membres de la mission du BIT ont exprimé également leur étonnement « face à la facilité avec laquelle un syndicat peut être dissout, alors que sa constitution et son enregistrement nécessitent de nombreuses formalités et un temps très long ». Les membres de cette mission ont invité « le gouvernement algérien à garantir la sécurité et les libertés fondamentales de tous les syndicalistes, et en particulier de ceux qui ont répondu et rencontré la mission ». « Nous l’invitons également à cesser de recourir aux pratiques du clonage et à la création de syndicats fictifs. Ce genre de pratique nuit à la crédibilité du gouvernement qui prétend pourtant vouloir rétablir la confiance avec l’OIT et ses organes de contrôle », regrette la même source.

Ces éléments vérifiables et palpables démontrent ainsi que la situation des droits syndicaux des travailleurs algériens est loin d’être reluisante et rien n’est encore fait par l’Etat algérien pour créer les conditions d’un avenir meilleur. Au contraire, les amendements que veut adopter le régime algérien à la loi 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical ne sont guère rassurants. Preuve en est, le 19 septembre dernier la Confédération syndicale des forces productives (Cosyfop), l’un des principaux syndicats autonomes en Algérie, a adressé un document détaillé au ministère de l’Emploi, du Travail et  de la Sécurité sociale dans lequel il est expliqué que, preuve à l’appui, que cet avant-projet de loi inclut certains détails qui contredisent les conventions internationales n°87 et 135 ainsi que les recommandations de la mission de haut niveau venue en Algérie. Ce document dont nous reproduisons quelques extraits à nos lecteurs et lectrices, déplore clairement le danger de l’obligation, mentionnée dans l’avant-projet de cette loi, que les statuts des fédérations, unions ou confédérations doivent déterminer les règles selon lesquelles les organisations syndicales adhérentes sont représentées dans leurs organes de direction et/ou l’administration et leurs assemblées générales.

Cette condition vise, malheureusement, à réduire le champ du statut des organisations syndicales. Chose qui contredit la convention internationale n°87 qui donne aux organisations syndicales le droit de rédiger leurs statuts librement et sans conditions préalables. D’autres exemples de lacunes sont donnés, tels que les restrictions supplémentaires à la création de fédérations citées dans l’article 04 bis.

D’après cette confédération, ces restrictions touchent au fond des syndicats à l’heure actuelle et sont en contradiction avec les statuts des syndicats existants, tels que le Snapap, un syndicat du secteur public qui regroupe de nombreuses fédérations dans divers secteurs.  Des articles de cette nouvelle loi ont été jugés enfin attentatoire aux droits des travailleurs algériens comme l’article 56 bis lequel stipule : « Après épuisement des procédures de prévention et de règlement des différends individuels prévues par la législation du travail en vigueur, le délégué syndical concerné se chargera de saisir la juridiction compétente, qui, sur la base du procès verbal de constat cité dans l’article 56 ci dessus, statue en premier et dernier ressort, annule la décision de licenciement et impose à l’employeur la réintégration du délégué syndical dans son poste de travail, sous astreinte journalière par jour de retard et sans préjudice des dommages et intérêts que réclamera le délégué syndical en réparation du préjudice subi ».

Des dispositions injustes et des patrons favorisés au détriment des travailleurs  

Cette disposition a été qualifiée par de nombreux syndicalistes et connaisseurs du monde du travail comme « injuste » car l’inspecteur de travail ne peut à lui-seul protéger le droit syndical puisqu’il peut être lui-aussi soumis à « l’arbitraire administratif » de l’organisme employeur. Dans ce contexte, il est important de renforcer la protection des travailleurs par les organisations syndicales qui doivent recourir à tous les mécanismes juridiques pour protéger les droits des travailleurs.

Des droits plus que jamais en danger au regard des amendements que les autorités algériennes veulent apporter au nouveau Code du Travail. Les points essentiels qui ont soulevé les tollés des syndicats algériens ont trait au CDD qui devient le principe et le CDI l’exception. La rupture du contrat travail ne comporte aucune entrave pour l’employeur et est prononcée par la seule volonté de celui-ci.


Le contrat de travail verbal n’est pas non plus une exception, mais la règle. Le travailleur recruté verbalement n’a aucune protection. En cas de conflit, et des conflits il y en aura forcément, le travailleur ne peut présenter aucune preuve de son recrutement : ni de la date du début de l’activité, ni de la durée quotidienne du travail, ni du montant de la rémunération due et celle devant être réglée, ni du poste occupé, ni de la qualification, absence de fiches de paie, etc. Une chose est certaine : le contrat de travail verbal est une forme légalisée de non déclaration des travailleurs aux organismes sociaux. Un moyen légal pour le patron de continuer à planquer sans crainte ses profits. Le problème de la preuve du contrat demeure entier. Une façon de consacrer juridiquement l’abandon du devoir de l’Etat de protéger le travailleur contre l’arbitraire patronal.

Selon l’article 9, le contrat de travail est adopté selon les formes convenues par les parties. Or, le contrat de travail est par définition un contrat d’adhésion ; en ce sens que le travailleur est la partie faible et l’employeur la partie privilégiée. Le contenu du contrat de travail sera fixé par l’employeur et le travailleur devra l’accepter ou s’en aller.

L’employeur fixera les règles : durée du travail, rémunération, nature du contrat CDD ou CDI, etc. La loi ne protège plus le travailleur. Celui-ci est donc à la merci du patron. Le projet de code du travail ne prévoit aucune protection du travailleur.
Il s’agit d’un cadeau au patronat et d’un nouveau coup de poignard dans le dos des travailleurs.

L’article 12 prévoit le CDD à temps plein ou à temps partiel, mais il n’est précisé nulle part que le CDD doit obligatoirement être écrit, afin de préciser la durée du travail, l’emploi occupé, la rémunération, les raisons du recours au CDD
Il n’est pas non plus précisé quelle sera l’issue du 3e CDD : conduira-t-il à un CDI ?

Le CDI à temps partiel pose problème pareillement. Ce type de contrat doit obligatoirement être écrit afin de fixer le temps de travail et d’éviter les abus de l’employeur sur la durée quotidienne du temps de travail. Les périodes d’essai fixées par le projet de ce futur code du travail qui n’a pas encore vu le jour sont anormalement longues et constituent un contrat type CDD sans contrainte pour le patron. Toutes ces données inquiétantes devraient sensibiliser les Algériens et les mobiliser pour exercer des pressions sur le pouvoir politique afin qu’ils ne sacrifient pas les droits des travailleurs algériens sur l’autel d’une pseudo-prospérité économique qu’il peine à réaliser ou concrétiser. Il y va des droits et acquis de nos générations futures.

 

 

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