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vendredi, mars 29, 2024

Documents exclusifs. Affaire Augusta et scandales de corruption à Sonatrach : Le PDG Toufik Hakkar et d’autres personnalités épargnées ou protégées par la Justice algérienne

Algérie Part a obtenu au cours de ses investigations des documents exclusifs démontrant l’implication de plusieurs hauts responsables de Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures, dont l’actuel PDG Toufik Hakkar dans plusieurs affaires et dossiers qualifiés par la Justice algérienne, ou soupçonnées d’être, de scandales de corruption ainsi que de dilapidations d’argent public. Or, le traitement judiciaire apporté par les magistrats algériens à ces dossiers se distingue par une impunité révoltante accordée à certains hauts responsables de Sonatrach comme le PDG Toufik Hakkar alors que d’autres anciens dirigeants de la compagnie nationale des hydrocarbures ont été « décapités » par des verdicts très sévères lors de procès tenus dans des conditions troublantes. 

En effet, le pôle pénal et économique du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a condamné le mardi 15 novembre l’ancien PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Keddour, à une peine de 15 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un (1) million de dinars dans une affaire de corruption liée à l’acquisition de la raffinerie d’Augusta.

Dans la même affaire, son fils Nassim Ould Keddour a été condamné à une peine de 10 ans de prison ferme, assortie d’une amende de trois (3) millions de dinars avec confirmation du mandat d’arrêt international émis à son encontre, alors que l’épouse d’Abdelmoumen Ould Keddour, Anissa Ouabdessalam a écopé d’une peine de deux ans de prison ferme et d’une amende de deux (2) millions de dinars. Deux peines de 3 et 7 ans de prison ferme ont été prononcées contre deux accusés, alors qu’un autre accusé a été acquitté.

L’ex-vice-président du département Commercialisations, Ahmed el-Hachemi Mazighi, qui figure parmi les dirigeants de Sonatrach ayant piloté le projet de rachat d’Augusta, a écopé d’une peine de 7 ans de prison et d’une amende de 1 million de dinars. Quant à Ali Raissi, ancien cadre du groupe de Sonatrach chargé de l’activité raffinage et pétrochimie, il a été condamné à 3 ans de prison, tandis que Brahim Boumarouf, lui aussi cadre, a été acquitté.

Les deux principaux prévenus ont été également condamnés à verser au Trésor public une amende de 600 millions de dinars (4,1 millions d’euros), ainsi que 100 millions de dinars (690 000 euros) de dommages et intérêts au profit de Sonatrach, qui s’est constituée partie civile dans cette affaire. Le tribunal a ordonné aussi la saisie de tous les biens appartenant aux prévenus et qui ont déjà fait l’objet d’une saisie ordonnée par le juge d’instruction.

La justice algérienne reproche officiellement à l’ancien PDG de Sonatrach d’avoir dilapidé l’argent public dans le cadre du rachat de cette raffinerie auprès d’Esso Italiana, la filiale italienne de l’américain ExxonMobil, pour des investissements globaux d’un montant de 2,1 milliards de dollars. Les accusations portaient également sur le fait que cette acquisition n’avait pas obtenu l’aval du conseil d’administration de la compagnie pétrolière nationale. Au cours du procès, le juge avait estimé excessif le prix de cette raffinerie qui date des années 1950, alors que le procureur a estimé que l’ancienne direction de Sonatrach a tout simplement dilapidé de l’argent public.

Pour les avocats de Ould Kaddour, ces accusations sont totalement infondées. La défense a présenté un document de Sonatrach daté d’octobre 2021 qui conclut que la compagnie n’a pas subi de préjudice lié à cet achat. Au cours de leurs plaidoiries les avocats ont indiqué que la raffinerie rembourse aujourd’hui les dettes contractées auprès de sa maison mère, Sonatrach, et qu’elle a généré 400 millions de dollars de bénéfices au cours du premier semestre de 2022, contre 255 millions durant toute l’année 2021.

Les chiffres sont donc éloquents : il n’y a donc aucune perte pour Sonatrach, bien au contraire, la compagnie nationale des hydrocarbures est en train de récupérer sa première mise de 720 millions de dollars USD pour racheter la raffinerie Augusta et pas moins de 3 terminaux pétroliers et des pipelines. Le reste des investissements consentis par Sonatrach vont être rentabilisés d’ici 2024 en raison de l’augmentation incessante des prix des produits raffinés depuis le début de la crise énergétique mondiale dans le sillage de la guerre en Ukraine déclenchée en février 2022.

Toutes ces données ont semé le discrédit sur les verdicts prononcés par le pôle pénal et économique du tribunal de Sidi M’hamed (Alger). Un discrédit qui s’est encore renforcé lorsque nous avons obtenu au cours de nos investigations un document qui démontre l’implication dans ce « scandale » et plusieurs autres marchés ou contrats controversés de Sonatrach de plusieurs hauts responsables qui ont été épargnés et sciemment protégés par les autorités judiciaires algériennes pour empêcher toute inculpation à leur encontre alors qu’ils avaient participé à toutes les décisions dans les passations soi-disant « illicites » de ces marchés onéreux dans le secteur du pétrole et du gaz. A la tête de ces personnalités ayant bénéficié de cette impunité, nous retrouvons l’actuel PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, et plusieurs de ses actuels collaborateurs.

En effet, un document officiel de la direction générale de Sonatrach datant du 6 juin 2017 signé par l’ex-PDG Abdelmoumen Ould Kaddour, durement accablé par la Justice algérienne,  nous apprend que tous les dossiers en discussion avec les partenaires étrangers de Sonatrach, dont l’affaire de l’acquisition de la raffinerie italienne Augusta, doivent être centralisés au niveau de la Direction Centrale Business et Développement (BD) qui était justement dirigée… par l’actuel PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar. Aucune opportunité de business durant l’ère d’Abdelmoumen Ould Kaddour, de mars 2017 jusqu’au 24 avril 2019, n’a pu être étudiée, validée ou approuvée par la direction générale de Sonatrach sans l’implication de la direction centrale Business et Développement (BD) dirigée par Toufik Hakkar.

Les documents obtenus par Algérie Part retracent également les travaux de plusieurs séances du Conseil d’Administration de Sonatrach en avril 2018 et en décembre 2018. Durant ces séances, tous les marchés et projets plus importants de Sonatrach durant l’ère Ould Kaddour ont été étudiés et officiellement cautionnés. Et plusieurs anciens et actuels responsables de Sonatrach ont participé à ces séances et apporté leur caution aux projets lancés par la compagnie nationale des hydrocarbures à l’image de l’acquisition de la raffinerie Augusta en décembre 2018.

Parmi ces hauts responsables impliqués dans la gestion et validation de ce projet, nous retrouvons l’actuel PDG, Toufik Hakkar, Fathi Arabi, actuellement vice-président à Sonatrach et principal collaborateur de Toufik Hakkar, ou encore M’hamed Kharroubi, l’ex-directeur exécutif des finances de Sonatrach. Tous les noms de ces dirigeants figurent dans les documents obtenus par Algérie Part au cours de son enquête. Et pourtant, le pôle pénal et économique du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) n’a jamais inquiété tous ces responsables et ses magistrats ont préféré inculper uniquement Abdelmoumen Ould Kaddour, Ali Raissi ou El Hachemi Mazighi. Pourquoi ? Aucune logique judiciaire ne saurait expliquer ce traitement particulier réservé à ses dirigeants de Sonatrach alors que leurs autres collègues ont été épargnés, certains ont été auditionnés et relâchés ensuite sans aucune poursuite judiciaire pendant que d’autres dirigeants, comme Toufik Hakkar, le principal responsable de la supervision de tous les projets de Sonatrach durant l’ère Ould Kaddour, ont été promus PDG et transformés en « personnages intouchables » de la République jouissant d’un pouvoir d’influence inédit au plus haut sommet de l’Etat algérien.

Cette justice à deux vitesses suffit enfin pour démontrer que l’affaire Augusta n’est qu’une vaste manœuvre de règlements de comptes n’obéissant à aucune considération de droit ni la moindre exigence de vérité. C’est une nouvelle illustration de l’instrumentalisation politique de la Justice au service des agendas des dirigeants du pouvoir algérien.

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