Enjeux énorme pour l’avenir, le grand défi de l’Algérie est de dynamiser le système financier, poumon du développement, afin qu’il ne soit plus un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures dans le sillage des sphères clientélistes.
L’Algérie a une économie de nature publique et étatique avec une gestion administrée centralisée en raison des réformes structurelles de fond qui tardent à se concrétiser sur le terrain. Le système financier algérien est actuellement dans l’incapacité d’autonomiser la sphère financière de la sphère publique, cette dernière étant totalement articulée à la sphère publique.
La totalité des activités quelques soient leur nature se nourrissent de flux budgétaires c’est à dire que l’essence même du financement lié à la capacité réelle ou supposée du trésor via la rente des hydrocarbures. On peut considérer que les conduites de l’irrigation, les banques commerciales et d’investissement en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la banque d’Algérie pour les entreprise publiques qui sont ensuite « refinancées » par le trésor public sous la forme d’assainissement.
Puisque pour l’Algérie, cette transformation n’est plus dans le champ de l’entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif. Ainsi, le marché bancaire algérien est totalement dominé par les banques publiques, les banques privées malgré leur nombre, étant marginales en volume de transaction, avec au niveau public, la dominance de la BEA, communément appelé la banque de la Sonatrach.
La bourse d’Alger, qui aurait pu dynamiser le secteur productif, création administrative en 1996 est en léthargie, les plus grandes sociétés algériennes comme Sonatach et Sonelgaz et plusieurs grands groupes privés ne sont toujours pas cotées en bourse. L’important pour une bourse fiable est le nombre d’acteurs fiables au niveau de ce marché pour l’instant limité. Imaginez-vous un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 200.000 spectateurs sans équipe pour disputer le match. Les autorités algériennes se sont donc contentées de construire le stade mais sans former des équipes et des joueurs. C’est que la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement.
Cela implique la synchronisation de la sphère réelle et de la sphère financière, de la dynamique économique et de la dynamique sociale au sein d ‘une stratégie tenant compte de des enjeux géostratégiques et de la transformation rapide du monde assistant à un bouleversement de la chaîne des valeurs mondiale posant cette question : dans quels segments de filières l’Algérie peut avoir un avantage comparatif ? Or, un véritable secteur privé productif a besoin d‘autonomie. Tous les rapports internationaux sont unanimes entre 2010/2017, le climat d’affaires contraignant dont la bureaucratie paralysante et la sphère informelle dominante, freinent les véritables entrepreneurs producteurs de richesses. La raison essentielle sont les contraintes d’environnement : bureaucratie pour plus de 50%, un système financier administré (plus de 90% des crédits octroyés sont le fait de banques publiques), un système socio-éducatif inadapté et enfin l’épineux problème du foncier.
A cela s’ajoute une méfiance maladive des Algériens vis-à-vis du privé tant local qu’international du fait que les tenants de la rente ont peur de perdre des parcelles de pouvoir. Cela explique, d’ailleurs, ces alliances entre la sphère bureaucratique et certaines sphères privées spéculatives mues par des gains de court terme via la rente.
Or, le véritable dynamisme de l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée suppose une autonomie de décisions face aux contraintes tant internes qu’internationales évoluant au sein de la mondialisation caractérisée l’incertitude, la turbulence et l’urgence de prendre des décisions au temps réel. Il faut donc s’attaquer à l’essentiel qui est le renouvellement de la gouvernance, liée à une profonde moralisation de ceux qui gèrent la Cité. Sans vision stratégique, comment adapter l’Algérie à la mondialisation par plus d’espaces de libertés, en levant les contraintes d’environnement afin de permettre l’épanouissement de l’entreprise créatrice de richesses, non par des textes mais il ne faut pas attendre à une véritable relance économique dont le fondement est l’accélération des réformes qui doivent reposer sur une transparence totale et une large adhésion sociale.
En l’absence d’une vision stratégique axée sur la concurrence, le processus de libéralisation qui doit être maîtrisée grâce à l’Etat régulateur, s’avérera un échec patent avec le risque de passage d’un nouveau monopole privé spéculateur, favorisé par le Monopole source. Comme nous l’avons montré dans plusieurs contributions nationales et internationales récentes en posant la problématique du futur rôle de l’État dans ses relations avec le marché, il s’agit de faire naître le marché dans un contexte de non marché à travers cette mutation systémique bouleversant la cohérence des anciens réseaux, pour créer une dynamique nouvelle à travers de nouveaux réseaux acquis aux réformes( de nouvelles forces sociales) dans le cadre d’une nouvelle cohérence synchronisée avec les mutations de l’économie mondiale.
Cette dynamique sociale est la seule à même d’éviter ce manque de cohérence et de visibilité dans la politique socio-économique dont les changements perpétuels de cadres juridiques (en fonction des rapports de force au niveau du pouvoir) en est l’illustration où plusieurs centres de décisions politiques, atomisant les décisions, rendent volontairement opaques les décisions. Fusionner le secteur privé sans distinction avec un secteur d’Etat comme le stipule la nouvelle Constitution suppose une volonté politique de libéralisation conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale. Ce qui ne signifie pas la fin des entreprises publiques ayant de brillants managers qui doivent évoluer dans un cadre concurrentiel supposant leur autonomie dans la gestion en ce monde turbulent et incertain devant prendre des décisions de management stratégique au temps, réel.
Malheureusement, le retour à la gestion administrée ne peut que bloquer les énergies créatrices. La réussite de la dynamisation du secteur économique, secteur d’Etat concurrentiel, secteur privé national et international est intiment liée à l’approfondissement de la réforme globale dont la réussite est conditionnée par une plus grande visibilité dans la politique socio-économique, un Etat de Droit, et la démocratisation des décisions économiques.
Cela implique de revoir la règle des 49/51% qui n’a pas donné les résultats escomptés généralisables à tous les secteurs pouvant imaginer pour les segments non stratégiques devant mettre en place une minorité de blocage de 30%. Ce qui est stratégique aujourd’hui peut ne pas l’être demain.
Par le Professeur des universités et expert international : le Docteur Abderrahmane MEBTOU