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vendredi, avril 19, 2024

Décryptage. Comment la Productivité et emploi dévoilent la régression de l’Algérie

L’emploi et la productivité du travail, ces deux notions fondamentales pour évaluer le développement d’un pays nous permettent, malheureusement, de mesurer l’alarmante régression de l’Algérie et sa très faible modernisation économique. C’est ce qui explique en grande partie sa fragilité actuelle face aux chocs économiques et financiers externes. Explications. 

Les chiffres et les statistiques concernant l’évolution de l’emploi par secteur, sur longue période, reflète une certaine tertiarisation de l’économie algérienne au détriment de l’agriculture et de l’industrie manufacturière. En effet, nous pouvons aisément constater que la part des services dans l’emploi total est passée de 50 % en 1990 à près de 58,9 % depuis 2018. Il faut toutefois noter que ce chiffre englobe celui des effectifs de l’administration centrale et locale qui représentent entre 65 % et 75 % du chiffre total des services. C’est dire que le nombre des fonctionnaires algériens est anormalement élevé et représente ainsi une charge financière très importante pour le pays. Officiellement, l’Algérie compte depuis fin 2019 près de 2,2 millions de fonctionnaires à qui il faut rajouter près d’un million d’employés liés directement aux différentes institutions sécuritaires comme la Défense Nationale, l’Armée et ses multiples directions, la DGSN (Police algérienne), Gendarmerie Nationale, les diverses unités des services secrets algériens.

Ces militaires ou membres des services de sécurité sont traités comme des « fonctionnaires » de l’Etat au sens propre du terme et ils sont entièrement pris en charge par le budget de l’Etat. En clair, l’Algérie dispose en réalité de près de 3,3, voire 3,5 millions de fonctionnaires. Les chiffres « officiels » ne sont jamais recoupés au regard de l’opacité avec laquelle sont gérés les appareils sécuritaires et administratifs de l’Etat algérien.

Il est à signaler, en outre, que le sous-secteur « commerces », qui renferme essentiellement le « commerce de détail et de gros » représente 15 % de l’emploi en Algérie. Les « services marchands », essentiellement des services financiers, affaires immobilières et des services fournis aux entreprises,  représentent 26 % du total des services depuis 2018.

Cette part était de moitié (13 %) en 2010. C’est cette catégorie de services qui est la plus proche de la notion de tertiarisation de l’économie. En revanche, la part du secteur de la construction a fléchi dans un premier temps de 14 % à 10 % entre 1990 et 2001, pour atteindre 17 % en 2018, portée notamment par les investissements publics.

Cette augmentation est due notamment au programme de construction de 5 millions de logements et aux programmes d’envergure dans les domaines des travaux publics et de l’hydraulique, avec la construction de l’autoroute Est-Ouest d’une longueur de plus de
1200 km, et celle de plusieurs barrages et viaducs.

La part de l’industrie dans l’emploi total est passée de 15,5 % en 1990 à 13,5 % en 2018. Dans les faits, ce chiffre englobe celui des hydrocarbures dont le poids dans l’emploi est assez faible (2 %), et a même baissé à 1 % à partir de 2018. Les emplois perdus par l’industrie manufacturière, surtout publique, au milieu des années quatre-vingt-dix à la suite du programme d’ajustement structurel ont été récupérés, en partie, dans l’administration et l’agriculture.

Autre constat significatif et important sur l’emploi en Algérie.  La répartition de l’emploi par genre9montre une part plus importante des femmes dans le secteur de la santé (43 %) et les industries manufacturières (21 %), que dans le secteur de l’administration publique (12 %). Dans l’éducation, les femmes sont majoritaires.

Que faut-il ainsi conclure de toutes ces données ?  Sur une longue période (1991-2016), la croissance de la productivité apparente du travail s’est élevée en moyenne à 5 % pour l’agriculture, 3 % pour les services et -2 % pour l’industrie. Ces moyennes cachent des évolutions différenciées. La productivité dans le secteur de l’industrie était la plus élevée durant la période 1991-2013, s’élevant à 30 000 dollars  USD contre 10 000 dans les services et enfin environ 6 300 dans l’agriculture. L’industrie inclut le secteur des hydrocarbures, très intensif en capital.

Selon plusieurs expertises, la baisse du niveau de productivité dans l’industrie s’explique en grande partie par celui du secteur des hydrocarbures, qui a vu sa production nominale baisser de moitié à partir de 2014.

Les services bénéficient de niveaux de revenus élevés générés dans le secteur de la finance
(établissements bancaires essentiellement) et celui de l’immobilier, moins intensif en main
d’œuvre. Cependant, l’agriculture a rattrapé les services en 2013 (13 500 dollars USD et les services ont rattrapé le niveau de productivité de l’industrie en 2014 (18 500 dollars USD). La hausse de la productivité dans le secteur de l’agriculture est ainsi à relever.

L’évolution de la productivité du travail en Algérie durant les périodes 2001-2011 et 2011-2017 révèle ainsi que la productivité intra-sectorielle est restée largement supérieure à la productivité intersectorielle. Cela témoigne d’une faible transformation structurelle de l’économie algérienne. C’est ce explique l’inquiétant sous-développement du pays et son incapacité à produire une croissance économique satisfaisante.

Il faut savoir enfin que la productivité du travail est au cœur de la transformation structurelle de l’économie d’un pays et du processus de son enrichissement.  En fait, dans les ouvrages spécialisés, la transformation structurelle est souvent définie comme les gains économiques accumulés par réaffectation de la main-d’œuvre des secteurs à faible productivité à des secteurs à forte productivité, ce que l’on appelle également les effets transsectoriels, par opposition aux gains de productivité au sein d’un même secteur. Une dynamique de l’emploi positive est donc nécessaire pour produire ces avantages.

Malheureusement, en Algérie cette dynamique n’a pas pu avoir lieu car les emplois créés en Algérie sont de très faible valeur ajoutée, des emplois administratifs, commerciaux et pu productifs de richesses à cause de la faiblesse de l’industrie et l’absence d’un secteur de développement technologique dans les services.

Il est à noter en dernier lieu que la productivité du travail dépend non seulement des qualifications et de la santé du travailleur, mais aussi des technologies existantes et d’autres caractéristiques liées aux entreprises. Les améliorations de la productivité du travail sont nécessaires à la croissance de l’économie (et du revenu des ménages) et, partant, contribuent à élever le niveau de vie. En Algérie, la main-d’oeuvre n’est pas qualifiée dans les secteurs industriels et un savoir-faire industriel accumulé durant les années 70 et 80 s’est malheureusement dissipé à cause de la forte prédominance du secteur des services à faible valeur ajoutée. Toutes ces particularités algériennes expliquent aujourd’hui l’impasse économique et financière dans laquelle se retrouve notre pays qui est privé des « armes nécessaires » pour imaginer des solutions futuristes et efficaces afin de surmonter les diverses crises auxquelles il est continuellement confronté.

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