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vendredi, mars 29, 2024

Décryptage. Comment la nouvelle constitution va empêcher l’indépendance de la Justice en Algérie

Depuis le début du Hirak le 22 février 2019,  l’indépendance de la justice a été au cœur des revendications du mouvement de protestation. En effet, des avocats défenseurs des droits humains ont dénoncé le contrôle de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire comme l’une des principales raisons des poursuites incessantes contre les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s, les blogueurs et blogueuses et les journalistes.

Il est donc essentiel que la nouvelle Constitution offre toutes les garanties d’indépendance de la magistrature et d’impartialité de la justice. Le chapitre de l’avant-projet qui traite de la justice contient plusieurs dispositions importantes, qui comprennent des principes généraux sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Par exemple, l’article 169 dispose que « la justice est indépendante » et que « les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs compétences juridictionnelles ». L’article suivant précise que « la justice protège la société, les libertés et les droits fondamentaux ».

Cependant, ce chapitre protège insuffisamment le mandat des juges, en violation des normes internationales, telles que les Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature et les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique.

L’avant-projet interdit bien de révoquer ou de muter un juge sans son accord – une nouvelle protection qui n’existait pas dans la Constitution de 2016 –, mais il prévoit aussi la possibilité de sanctions disciplinaires sur décision du Conseil supérieur de la magistrature.

Le texte précise que de telles mesures doivent être prises « conformément aux garanties fixées par la loi », une formulation qui pourrait être utilisée de manière abusive par les pouvoirs exécutif et législatif pour affaiblir l’essence de cette protection.

A ce sujet, la célèbre ONG Amnesty International recommande de préciser clairement dans l’article 178 de l’avant-projet qu’un juge ne pourra faire l’objet de sanctions disciplinaires qu’en cas de faute grave, constatée par le Conseil supérieur de la magistrature, et dans le respect des garanties d’une procédure régulière. Cette recommandation a été prônée par de nombreux juristes et spécialistes du droit en Algérie.

D’autre part, l’avant-projet prévoit l’institution d’un Conseil supérieur de la magistrature « doté de l’indépendance administrative et financière » (article 187), chargé de contrôler le comportement professionnel des magistrats et de prendre des mesures disciplinaires. L’avant-projet propose que ce Conseil soit présidé par le Président de la République et soit composé de 27 membres, dont 15 élus par leurs pairs, six non-magistrats nommés (deux par le président de la République et quatre par l’Assemblée nationale populaire et le Conseil de la Nation, les deux chambres du Parlement), deux représentants syndicaux des magistrats et deux hauts responsables du pouvoir judiciaire : le président de la Cour suprême et le président du Conseil d’État, ainsi que le président du Conseil des droits de l’homme.

Le fait que 15 des membres soient élus par leurs pairs est positif et conforme à plusieurs instruments internationaux qui recommandent une proportion importante, voire une majorité, de magistrats élus par leurs pairs dans ce type d’organismes. Cependant, l’avant-projet maintient une représentation inconsidérée du pouvoir exécutif dans le Conseil supérieur de la magistrature, puis que celui-ci est toujours présidé par le Président de la République, comme c’est le cas du Conseil actuel créé par la Loi organique n° 04-12 du 6 septembre 2004. Par ailleurs, les hauts-responsables judiciaires qui figurent dans la composition du Conseil seront eux-mêmes nommés par le président. Les spécialistes du droit ont recommandé à ce sujet que le président de la République ne soit pas membre du Conseil supérieur de la magistrature.

L’avant-projet donne également au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de nommer les juges et de décider du déroulement de leur carrière, mais il accorde aussi au président de la République l’importante prérogative de pourvoir « aux fonctions judiciaires spécifiques […] sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ». Selon la Loi organique n° 04-11 du 6 septembre 2004 portant statut de la magistrature, les fonctions judiciaires spécifiques comprennent un certain nombre de postes importants, tels que ceux de président de la Cour suprême, président du Conseil d’État, procureur général près la Cour suprême, président de Cour et procureur général près la Cour.

Cela implique que l’exécutif conserve des pouvoirs importants sur des fonctions judiciaires clés et pourrait donc influencer la justice. D’autre part, l’avant-projet prévoit la création d’une Cour constitutionnelle, chargée de superviser l’application de la Constitution. Celle-ci remplacera l’actuel Conseil constitutionnel, sans fondamentalement modifier sa composition ni ses attributions telles que définies dans la Constitution de 2016.

La Cour constitutionnelle aura le pouvoir d’examiner la constitutionnalité des lois proposées, sur saisine du président de la République, du président du Parlement ou d’au moins 40 membres de l’Assemblée populaire nationale ou 25 membres du Conseil de la nation du Parlement. Elle aura aussi le pouvoir de déterminer si les lois existantes sont conformes aux droits et aux libertés inscrits dans la Constitution dès lors qu’elle sera saisie sur renvoi de la Cour suprême ou du Conseil d’État, quand une partie à un litige le demandera. Cette procédure avait déjà été ajoutée par les modifications constitutionnelles de 2016.

C’est une disposition positive, car elle permet aux citoyen·ne·s de contester indirectement la constitutionnalité des lois qui restreignent les droits et les libertés. Toutefois, l’avant-projet ne précise pas si la décision de la Cour à propos d’une loi entraînera la nullité de celle-ci dans l’ordre juridique ou n’aura qu’un effet suspensif dans le litige en question uniquement.

Dans ce dossier, Amnesty International a recommandé que cette disposition soit renforcée par une stipulation précisant que toute décision d’inconstitutionnalité prononcée par la Cour constitutionnelle dans le cadre d’un litige entraînera la nullité de la disposition en question dans l’ordre juridique. La Cour constitutionnelle sera composée de 12 membres, dont quatre seront nommés par le président de la République, deux par le président de la Cour suprême, deux par le président du Conseil d’État et quatre par les présidents des chambres haute et basse du Parlement. L’avant-projet donne  enfin au Président de la République le pouvoir de nommer le président de la Cour constitutionnelle. En conséquence, la Cour constitutionnelle, comme le Conseil constitutionnel, restera fortement contrôlée par l’exécutif puisque le chef de l’État désignera son président et un tiers de ses 12 membres.

Si le pouvoir algérien était vraiment soucieux de l’indépendance de la justice, il aurait proposé que le Président de la Cour constitutionnelle soit élu à la majorité de ses membres plutôt que nommé par le président de la République…

 

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