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jeudi, avril 25, 2024

Décryptage. Adoption de la langue anglaise à partir du cycle primaire : l’Algérie est-elle vraiment préparée pour cette réforme ?

Le Chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, a décidé de l’adoption de l’anglais dès le primaire, d’après le communiqué final du Conseil des ministres du dimanche 19 juin. Aucune échéance n’a été donnée pour l’application de cette décision. Selon plusieurs sources concordantes, cela devrait se faire dès la prochaine rentrée scolaire. Mais l’Algérie est-elle vraiment prête pour réaliser cette réforme ? Décryptage. 

Officiellement, le voeu des autorités algériennes est de faire de l’anglais la deuxième langue étrangère adoptée au niveau du primaire, après le français. Sauf que cette réforme introduit l’enseignement de l’anglais dès la première année du primaire alors que le français n’est enseigné qu’à partir de la troisième année. La langue arabe reste évidemment la langue principale dans le système éducatif algérien.

Cette réforme a été officiellement entérinée officiellement par Abdelmadjid Tebboune qui a présidé, dimanche dernier, une réunion du Conseil des ministres au cours de laquelle il a ordonné d’adopter la langue anglaise à partir du cycle primaire, « après une étude approfondie menée par des experts et des spécialistes ». Et cette phrase vaut son pesant d’or car si les intentions des autorités algériennes sont totalement louable, la généralisation de l’anglais à toutes les écoles primaires du pays nécessite des moyens logistiques et des outils éducatifs qui semblent, malheureusement, faire encore défaut à l’Algérie.

La généralisation de la langue anglaise entre dans le cadre de la « la nécessité de réviser les programmes éducatifs en se référant à l’esprit pédagogique, qui a permis la formation, depuis l’indépendance, d’une élite dans diverses spécialités, et d’interdire la révision des programmes éducatifs durant l’année scolaire », explique à ce sujet le dernier communiqué du Conseil des Ministres. Mais un premier obstacle se heurte à cet ambitieux projet : l’Algérie ne dispose pas d’un grand nombre d’enseignants en anglais pour enseigner cette langue universelle, la plus utilisée du monde, dans toutes les écoles primaires.

Un seul chiffre suffit pour expliquer le manque criant et terrifiant de compétences en langue anglaise en Algérie.Sur les 62 000 enseignants exerçant dans les différentes universités algériennes, seulement 1000 d’entre eux maîtrisent l’anglais. Ce chiffre avait été révélé par le ministre algérien de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Abdelbaki Benziane le 6 avril 2021. Comment l’Algérie pourrait-elle généraliser la langue anglaise dans toutes les écoles du pays avec un nombre aussi insignifiant d’enseignants maitrisant l’anglais ?

Il est à signaler, en outre, que l’Algérie compte officiellement depuis 2020 pas moins de 473.166 enseignants qui officient au niveau tous les cycles du système éducatif national, à savoir le primaire, le collège et le lycée. L’Algérie compte, par ailleurs, 27.426 établissements scolaires dont 19.308 écoles primaires ,5.630 collèges et 2.488 lycées.

Pas moins de 40 % des enseignants algériens travaillent dans le cycle primaire et 34 % d’entre eux dans le cycle moyen, à savoir le collège ou ce qui est appelé encore en Algérie le C.E.M. Combien d’enseignants algériens sont-ils réellement bien formés en langue anglaise pour pouvoir ensuite assurer un enseignement de qualité de cette langue universelle ? Jusqu’à aujourd’hui, aucune donnée fiable n’est disponible pour répondre à cette question.

Quelques chiffres recoupés et confirmés par diverses officielles confirment tout de même la faible présence de la langue anglaise en Algérie. De 2006 jusqu’à 2014, seulement 3000 enseignants de moyen et 300 inspecteurs d’anglais ont été formés par le British Council, le centre culturel britannique, à Alger. Un nombre ridicule par rapport aux immenses besoins des écoles algériennes.

Il est à noter qu’une première expérience de généralisation de l’anglais avait été tentée par l’Algérie dans le passé. En effet, en 1995, le gouvernement algérien avait décidé d’introduire l’anglais au niveau primaire comme première langue étrangère. Mais, à l’époque, le choix était laissé aux parents : 5 609 élèves prirent l’anglais comme première langue étrangère au primaire.

Le désir de remplacer le français par l’anglais remonte à de longues années en Algérie. Mais il n’a jamais pu se concrétiser faute de moyens humaines et d’une réelle adhésion de la population algérienne.  « […] en 95/96 sur les 4 617 728 élèves inscrits dans le cycle fondamental de l’école algérienne où il y a obligation de suivre un enseignement de langue étrangère au choix entre le français et l’anglais, seuls 59 007 suivaient les enseignements d’anglais à la place du français, soit 1,27 % de la population scolarisée dans le cycle […]. Ces données statistiques officielles montrent en fait que les parents des élèves disqualifient la langue anglaise au profit de la langue française », nous apprend sur cette expérience algérienne menée pendant les années 90 une étude universitaire intitulée « La diversité linguistique et culturelle dans le système éducatif algérien », une étude publiée dans les colonnes d’une prestigieuse publication internationale.

C’est dire enfin que l’Algérie a déjà échoué à imposer l’anglais à l’école faute d’une véritable politique de planification linguistique conduite en harmonie avec ses moyens humains, logistiques et les besoins de sa population. Pourra-t-elle réussir en 2022 en l’absence toujours de cette précieuse planification ? Pas si sûr.

Soulignons en dernier lieu que les Algériens ont été classés en 2017 parmi les peuples qui maîtrisent le moins l’anglais dans le monde. Selon l’index Education First, qui classe les pays selon leur niveau d’anglais, l’Algérie est classée au 76e rang sur les 80 pays étudiés par cet indice réalisée par la société Education First qui se base sur des tests standardisés, réalisés dans les différents pays, pour dresser son classement. En clair, notre pays pointe au dernier rang et les Algériens savent à peine dire en anglais leur nom, à savoir se présenter simplement (nom, âge, pays d’origine) et comprendre des signes simples ou donner des instructions de base à un visiteur étranger. L’Algérie fait partie des pays disposant des compétences les plus faible en anglais dans le monde.

 

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