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vendredi, avril 19, 2024

Complotisme, régionalisme, insultes, calomnies : l’inquiétante médiocrité du débat public en Algérie

On espérait une nouvelle Algérie. On rêvait d’un autre pays totalement différent de ce que nous avons connu durant ces 20, voire 30 dernières années. On attendait avec impatience la chute du clan des Bouteflika pour assister à l’avènement de cette nouvelle Algérie. Mais, finalement le rêve n’était qu’un cauchemar déguisé. 

Les Bouteflika,  tout le clan, sont tombés le 2 avril 2019. Un magnifique mouvement populaire appelé le Hirak a balayé ce clan d’affairistes et de dirigeants vermoulus. Mais, depuis, que s’est-il passé ? Et ben, rien de beau, d’encourageant ou d’exceptionnel ne s’est produit en Algérie. La déception est totale. Les Bouteflika sont partis. Mais le clan Gaid Salah les a remplacés de fort belle manière. Détenus politiques et d’opinion, arrestations arbitraires et incarcérations pour de simples commentaires sur Facebook, un champ médiatique verrouillé, des journalistes emprisonnés, des partis politiques totalement assujettis, une liberté d’expression combattue, voire diabolisée. Pis encore, même la liberté de penser n’est plus tolérée en Algérie.

Les hirakistes, les manifestants, les opposants peinent à le reconnaître, mais la vérité est bel et bien là : l’Algérie d’aujourd’hui est pire que celle d’hier. C’est une dictature totalement brutale et qui s’assume fièrement. Face à cette situation, les Algériens tentent tant bien que mal de résister. Mais cette résistance s’effrite de jour en jour. A cause de quoi ? La pandémie du COVID-19 ? Le confinement sanitaire ? Non, le premier ennemi qui empêche les Algériens de s’unir à nouveau, comme un certain 22 février 2019, pour changer leur pays est l’actuelle médiocrité du débat public.

Face à l’urgence d’une nouvelle mobilisation pour sauver l’Algérie de sombrer définitivement dans une nouvelle ère de dictature militaire l’égyptienne, les Algériens sont divisés par des sempiternelles polémiques sur des aspects totalement superficiels de l’actualité algérienne. La dernier documentaire diffusé par France 5 sur le Hirak démontre parfaitement cette réalité. Une simple émission de télévision a divisé les hirakistes dans des logomachies d’une violence inouïe.

Les conservateurs reprochent aux progressistes une tentative de s’emparer de la représentativité du Hirak. Les progressistes font exactement le même reproche aux conservateurs. Et dans les débats déchaînés, les insultes, calomnies, violations de la vie privée, dominent largement les échanges entre ces Algériens. Mais, ce ne sont pas les divisions idéologiques qui causent problème. Il s’agit-là d’un phénomène somme toute assez naturel dans l’évolution politique d’une société.

C’est le mode de pensée animant justement cette pensée qui interpelle. Pour développer leur argumentaire, les Algéries recourent régulièrement au complotisme et ses théories les plus funestes. A les entendre, il y a toujours un ennemi invisible qui veut saboter le Hirak. Tantôt, c’est la France. Tantôt, c’est le Maroc. Tantôt, c’est le Qatar, tantôt les Emriats, etc..

Et chaque personnalité qui émerge sur le champ médiatique, elle est forcément payée ou rémunérée par une tierce partie. Comme si l’Algérie n’intéressait que les mercenaires parce que ses richesses mythiques étaient uniques au monde. Et lorsque le complotisme ne fait pas recette, c’est le régionalisme qui l’emporte. Ah, les progressistes sont certainement kabyles, les conservateurs tous de l’intérieur du pays, etc. Le juste milieu disparait dans ce champ lexical et l’extrémisme est entretenu consciemment sans aucune remise en cause.

Des disputes, des querelles, éternellement des polémiques. Les hirakistes s’enferment dans ce cercle vicieux sans fin. Le pouvoir est accusé de tous les maux. Oui, mais lui profite de cette sécheresse intellectuelle qui provoque une inaction collective afin d’asseoir son pouvoir en renforçant sa répression. Et pour cause, les problèmes, tout le monde les énumère en Algérie, mais personne ne cherche les solutions.

Avec des dizaines d’opposants en prison,  des détenus d’opinion de jour en jour nombreux dans les prisons et une classe politique déstructurée, les hirakistes n’ont pas du tout réfléchi à la manière comment il faut se relancer après la disparition de l’épidémie du COVID-19.  Faut-il se contenter des marches populaires du vendredi ? Faut-il recourir à des grèves ? Faut-il des sit-in en pleine semaine ? Personne ne répond, personne ne le sait. Les hirakistes attendent la réaction spontanée des masses populaires. Le pouvoir, lui, il réfléchit, calcule, avance ses pions et affute ses stratégies. Au final, la médiocrité du débat public lui profite plus que jamais et lui donne du sursis face à des Algériens qui veulent, certes, le changement, mais qui demeurent incapables de le penser concrètement…

 

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