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jeudi, avril 18, 2024

Comment la fermeture de la chaîne de télévision Al-Djazairia a inauguré le long hiver de la liberté de la presse en Algérie

La liberté de la presse en Algérie vit en ce moment un long et rude hiver. Après la disparition du célèbre quotidien francophone Liberté le 14 avril 2022, c’est au tour du célèbre quotidien El Watan, l’autre poids lourd de la presse francophone de subir le risque d’une pure disparition dans les prochaines semaines. Les titres de la presse indépendante en Algérie meurent les uns après les autres dans l’indifférence générale et ce cycle infernale risque de durer encore longtemps à cause de la volonté manifeste du régime algérien de restreindre définitivement la liberté d’expression dans le pays. Force est de constater que cette période sombre pour la presse algérienne a commencé avec la fermeture arbitraire de la chaîne de télévision privée Al-Djazairia en août 2021. Explications. 

Le journal francophone El Watan est à l’arrêt. A partir de ce vendredi 29 juillet, les 130 salariés, qui n’ont touché aucun salaire depuis 5 mois, sont en grève illimitée. En mars dernier, en raison de charges sociales impayées, l’Etat a fait bloquer les comptes du quotidien qui se retrouve donc dans l’impossibilité de décaisser des fonds et de payer les salaires. Après 31 ans d’existence, le journal El Watan est donc en danger. Comme une nouvelle étape après l’arrêt du journal Liberté en avril, après des arrestations et des condamnations de journalistes.

Le jeudi 14 avril dernier, le quotidien Liberté titrait « Merci et au revoir » pour signifier sa disparition officielle des étals des journaux algériens. Son principale actionnaire, le milliardaire Issad Rebrab, avait annoncé la liquidation de l’entreprise et la fin du média indépendant né trente ans plus tôt. Après deux ans de Hirak, cette décision avait sonné comme un nouveau coup dur pour la presse algérienne.

Cependant, ces coups contre la liberté d’expression ont commencé depuis l’été 2021 avec la fermeture arbitraire de la chaîne de télévision privée Al-Djazairia TV. Le 23 août 2021, le ministère de la Communication et l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) avaient annoncé, lundi dans un communiqué conjoint, la fermeture « immédiate et définitive » de la chaîne « El Djazairia One ».  « Partant de ses missions de régulation et de contrôle de la scène audiovisuelle et suivant les prérogatives que lui confère la loi 14-04 relative à l’activité du secteur, l’ARAV a enregistré des violations professionnelles provenant de la chaîne +El Djazairia One+ relatives au non respect des exigences de l’ordre public, outre la violation par l’un des associés de cette chaîne de la loi sur l’activité audiovisuelle, laquelle interdit l’acquisition d’actions dans plus d’une chaîne télévisée », avait-on lu dans le communiqué.

Aux précédents motifs s’ajoutent « les poursuites judiciaires et le mandat d’arrêt rendu par la justice algérienne à l’encontre des frères propriétaires, fondateurs et gérants de cette chaîne pour infraction à la législation et à la réglementation de change et mouvements de capitaux de et vers l’Algérie, d’une part, blanchiment d’argent, d’autre part », avait ajouté la même source. « Soucieuse de garantir le respect des lois de la République et ses réglementations en vigueur », l’ARAV « décide de la fermeture immédiate et définitive de la chaîne El Djazairia One et demande au ministère de la Communication de lui retirer l’accréditation et d’appliquer la décision de sa fermeture définitive ».

Algérie Part a obtenu au cours de ses investigations le document officiel émanant de la sûreté de la wilaya d’Alger qui ordonne les policiers de procéder à la fermeture définitive du siège de la chaîne de télévision d’Al Djazairia TV à Hydra. Cette procédure avait été mise en place officiellement à partir du 7 septembre 2021. Et c’est ainsi que sans aucune décision de justice, sans le moindre verdict défavorable aux actionnaires de ce média privé, sur la base d’une simple directive administrative, une chaîne de télévision qui rayonne dans le pays depuis 2012 a été « décapitée » en toute froideur et sans la moindre pitié.

L’attitude des autorités algériennes avaient suscité à l’époque un véritable tollé international. La fondation Article 19, une célèbre ONG britannique de défense des droits de l’homme qui se concentre sur la défense et la promotion de la liberté d’expression et de la liberté d’information dans le monde entier, avait dénoncé la fermeture d’Al Djazairia TV en estimant que les décisions de l’autorité de régulation de l’audiovisuel en Algérie étaient non-conformes aux normes internationales.

« Le 16 août2021, l’ARAV a décidé de fermer définitivement la chaîne Lina- Tv parce qu’elle travaillait en dehors des cadres juridiques consentis bien que les motifs de cette décision ne soient pas clairs. Le 23 août2021, l’ARAV a rendu une décision similaire à l’encontre d’El Djazairia et elle a suspendu la chaîne Al-Bilad durant une semaine parce qu’elle a diffusé des images d’un crime terroriste. ARTICLE 19 rappelle aux autorités algériennes les exigences de l’article 54 de la Constitution, qui disposent que les chaînes de télévision et de radio ne peuvent être arrêtées que par décision judiciaire alors que les décisions susmentionnées sont de caractère administratif émanant d’une autorité de régulation. De ce fait, les décisions de suspension ou d’arrêt sont une violation grave de la Constitution », avait déploré fortement Article 19 dans un communiqué rendu public en septembre 2021.

« ARTICLE 19 appelle les autorités algériennes à mettre fin immédiatement aux violations contre les journalistes et les médias et à renverser les pratiques inconstitutionnelles », avait poursuivi la même ONG internationale. Malheureusement, ce signal d’alarme n’a pas été pris en compte ni par la société civile ni par l’opposition en Algérie. Personne n’était montée au créneau pour dire stop à l’attitude arbitraire du régime algérien. Ce dernier s’était ensuite renforcé dans sa détermination d’en finir avec la liberté d’expression. Et le feuilleton s’est poursuivi jusqu’à la fermeture du quotidien Liberté et la mise à mort programmée d’El Watan.

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