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jeudi, avril 18, 2024

Contribution. L’erreur fatale du militaire sur le civil ou l’échec du plan de l’Armée

Après la diffusion télévisée de l’historique débat présidentiel du 6 décembre 2019, les téléspectateurs algériens ont pu découvrir cinq candidats raidis par cet exercice démocratique inédit, et qui se seront contenté, faute également à un temps restreint et imposé, de réciter les grandes lignes de leurs programmes sans pouvoir aller dans le détail de leurs différentes annonces.

Si les algériens ont manifestement rejeté cette programmation diffusée sur toutes les chaines de télévision algériennes, et ont poursuivi leur formidable mobilisation, initiée il y a 10 mois, tout en y maintenant des slogans hostiles à l’organisation des élections présidentielles du 12 décembre, ils auront été toutefois plus prolixes et plus explicites sur les réseaux sociaux concernant cet événement.

Dans leur grande majorité les internautes algériens s’opposent de manière presque unanime à ce scrutin. Ils résument leur aversion à ce qu’ils estiment être un simulacre de vote, dans le fait que ce serait le pouvoir militaire qui gérerait les 5 candidats à la magistrature suprême, et qui ont par le passé déjà servi le régime.

Pour notre jeunesse, cette situation hypothèque l’avenir du pays et leurs espoirs d’une Algérie nouvelle.

Toutefois, un constat se dégage de manière constante dans ces nombreux échanges virtuels et il concerne le candidat Ali Benflis, crédité comme seul candidat relativement sortant du lot.

Il faut dire que Benflis avait pour atouts le fait bien mieux maîtriser les dossiers économiques, politiques et sociaux pour avoir été à la tête d’un gouvernement qui avait réussi la prouesse d’avoir enregistré un des meilleurs taux de croissance de l’histoire du pays.

Ali Benflis est également le seul à s’être entouré de jeunes universitaires, quadra et quinquagénaires performants composant son équipe de campagne, à l’instar de Souheil Guessoum, Fayçal Hardi ou Badis Khenissa pour ne citer que ceux-là.

Il se distinguera également, par rapport aux autres candidats, par son opposition à Abdelaziz Bouteflika après avoir constaté de très près les dérives du clan de l’ex Président déchu.

Tout comme il aura été le seul qui durant l’été 2019 s’était exprimé contre Gaid Salah déclarant que  »l’emblème national et la bannière amazigh, ils sont chacun à sa place. L’emblème national est à sa place dans la Constitution comme symbole de l’Etat qui a guidé, jusqu’à la mort, des femmes et des hommes qui en tombant en martyrs ont permis que se lève l’Etat algérien libre et souverain. Quant à la bannière amazigh, elle est aussi à sa place, c’est-à-dire dans nos racines, dans notre histoire et dans notre identité » !

Enfin, le natif de Batna aura été seul candidat à véritablement s’opposer dans son programme à l’article 63 (remplaçant le 51) de la constitution créant une différence entre algériens.

Cet engouement pour le candidat Benflis a, semble-t-il, déstabilisé les plans de l’Etat Major de l’armée qui avait vraisemblablement désigné son candidat.

En effet le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major depuis 2004 et actuel homme fort du régime semblait avoir opté tardivement pour l’ex-Ministre de la culture et Président du RND : Azzedine Mihoubi, et ordonné un support exclusif pour son poulain.

L’ancien Premier Ministre Benflis sous-entendait-il cela quand il avait déclaré qu’il avait choisi de briguer la présidence  »sachant que toutes les conditions ne sont pas remplies » ?

Quoiqu’il en soit, il était attendu une réaction de la part du pouvoir militaire pour pallier au déficit du capital sympathie d’un Azzedine Mihoubi que tout le monde sait n’être qu’un simple pion aux mains de la grande muette.

Grossièrement, l’affaire Salah Bekka est vite ficelée par le régime et promptement expédiée par cette même justice aux ordres qui a prévalu au temps de Bouteflika, aux fins de discréditer Ali Benflis et lui barrer le chemin d’El Mouradia.

Le 9 décembre, le Procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad Rais annonçait dans un communiqué au ton martial, l’arrestation et le placement sous mandat de dépôt d’un « espion », collaborateur d’une « puissance étrangère » qui travaillait au sein de la direction de campagne du candidat d’Ali Benflis.

Le procureur va même aller plus loin et affirme que Bekka est un proche des Benflis et qu’il aurait ouvert un compte en banque en France à l’épouse même du candidat.

Ali Benflis a vite fait, après quelques heures, de répondre à ces accusations dans un communiqué, fustigeant ceux qui veulent attenter à son honneur et à la dignité de sa personne. Il explique qu’il n’a jamais caché ses avoirs financiers dans la banque française Crédit du Nord, qui a clôturé son compte le 21 mars 2019.

Passés maitres dans l’art de la fabrication de faux procès et de confection d’une démocratie de façade, les protecteurs du Système en Algérie ont de tout temps été capables d’éliminer toute contestation qui s’opposerait à leur sombre et unique dessein, le maintien.

Seulement voilà, en tentant brutalement de mettre à mort la candidature de Benflis, une partie de l’Armée vient de designer celui qu’elle ne soutient pas. Et c’est bien là le point faible de cette action.

S’il est impossible d’invalider la candidature d’Ali Benflis sans renforcer la suspicion de mainmise des militaires sur un scrutin déjà largement rejeté par le peuple et qui viendrait renforcer un taux d’abstention déjà qualifié d’important, il n’en demeure pas moins que la portée d’une telle décision invaliderait de facto les résultats même de ces présidentielles et remettrait en cause les décisions du chef d’Etat-Major Ahmed Gaid Salah.

D’un autre côté, le capital confiance durant le scrutin de ce jeudi 12/12 irait naturellement vers le candidat ‘’civil’’ Benflis qui pourrait ainsi bénéficier des bulletins d’un vote sanction contre la hiérarchie militaire, et lui donnerait par la même occasion toute la légitimité populaire pour atténuer, voire éliminer le pouvoir militaire et son emprise sur la politique.

Enfin, si les élections présidentielles étaient annulées pour cette raison ou une autre, on se dirigerait tout droit vers une période de transition menée par un collectif de compétences qui jetterait les bases d’une constituante et d’une nouvelle ère laborieuse pour l’Algérie.

Entre temps, s’il y a un coup à jouer pour mettre en échec et mat le plan de la Issaba de laquelle tente encore de se désolidariser l’Etat-Major de l’armée depuis la révolution du sourire, il y a lieu d’aller voter et de ne pas voter pour le candidat de l’armée. Car ne pas aller voter, serait prendre le risque de voir le commandement de l’armée continuer à agir en coulisse et précipiter le pays vers une crise certaine.

C’est là l’aide fondamentale que pourra apporter le Hirak au changement, même si cela ne sera malheureusement pas définitif. Car il faudra continuer à maintenir la pression sur le nouvel élu afin qu’il engage les réformes nécessaires, conformément à son programme et aux aspirations du peuple pour un Etat moderne et démocratique, et débarrasser l’Etat de la conception archaïque dans laquelle on veut la maintenir. Et de tous, seul Ali Benflis en a l’étoffe.

Par Amir Youness

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