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jeudi, mars 28, 2024

Analyse. La Chine après la politique du zéro Covid

La capacité des autorités chinoises à mettre en œuvre une politique de grande ampleur est toujours impressionnante et la volte-face opérée quant à sa stratégie du zéro Covid, appliquée de manière quasi religieuse depuis près de trois ans, ne fait pas exception. Presque du jour au lendemain, le gouvernement a commencé à démanteler les tentes de dépistage du Covid-19, auparavant omniprésentes. Les médias étatiques ont commencé à affirmer que les symptômes du variant Omicron étaient sans gravité. Les mesures de confinement imposées aux résidents de plusieurs villes ont été soudainement levées : les habitants de  Guangzhou, par exemple, sont passés de la quarantaine à domicile à la possibilité de se rendre à un bar karaoké en l’espace de deux heures.

 

L’ère post-Covid est arrivée en Chine. Quelles seront ses suites ?

 

Maintenant que les strictes mesures de quarantaine appartiennent au passé, les Chinois vont pouvoir reprendre le cours de leur vie d’avant la pandémie. Ils retourneront au bureau, feront leurs courses dans les centres commerciaux, dîneront dans les restaurants et visiteront les parcs et les temples – sans avoir à réaliser les tests quotidiens de dépistage du Covid, sous peine de se retrouver confinés dans un centre de quarantaine.

 

La Chine ne peut toutefois pas faire comme si la pandémie avait disparu. Les taux de vaccination, des personnes âgées en particulier, restent faibles. Seulement 40 pour cent des plus de 80 ans ont reçu trois doses de vaccin (dont une dose de rappel). Et les capacités des hôpitaux chinois – 3,4 lits de soins intensifs pour 100.000 habitants – sont nettement inférieures à celles des pays développés. Le Royaume-Uni en compte 3 fois plus, les États-Unis 7,5 fois plus et l’Allemagne 10 fois plus.

 

Il faut donc s’attendre à une augmentation massive des infections et des décès, et à des pressions croissantes sur le système de santé. Bien qu’il s’agisse clairement d’un défi sérieux, la Chine doit l’affronter pour pouvoir réintégrer le monde post-Covid. Mieux vaut crever l’abcès maintenant que le laisser s’envenimer.

 

Il n’en reste pas moins que ce revirement sera douloureux, notamment en raison des réserves profondément ancrées de nombreux Chinois à l’égard des vaccins et des médicaments occidentaux, et qu’il constituera un test politique difficile pour le gouvernement et le Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir. L’avantage offert par la situation actuelle est que le gouvernement peut prétendre qu’il obéit à la volonté du peuple. En effet, les manifestations qui ont éclaté dans les villes chinoises ces dernières semaines ont peut-être donné au gouvernement la raison dont il avait besoin – ou qu’il cherchait – pour abandonner une politique dont il a trop vanté les mérites (du moins au niveau national), et pendant trop longtemps.

 

Au début 2020, les strictes mesures de confinement imposées par les autorités chinoises sont effectivement parvenues à contrôler la propagation du Covid, donnant du temps au reste du monde d’appliquer des politiques du même ordre pour contenir le coronavirus. Malheureusement, les autres pays n’ont pas saisi cette occasion et en 2020 et 2021, ils ont subi vague après vague épidémique liée à de nouveaux variants. Tandis que le nombre de cas mortel progressait ailleurs, la Chine, grâce à sa stratégie zéro Covid, a vécu sans le virus.

 

Puis le variant Omicron est apparu. Ses caractéristiques – bien plus transmissible, mais provoquant généralement des symptômes  plus bénins que les précédents variants – auraient du inciter le gouvernement à modifier son approche. Mais les Chinois l’auraient-ils accepté ? L’abandon de la politique zéro Covid serait difficile à justifier pour tous ceux qui, encouragés par un gouvernement en qui ils ont confiance, ont passé des années à croire que le Covid pouvait être mortel et que la décision de l’Occident de rechercher l’immunité collective témoignait d’un mépris cruel pour la vie et l’humanité des gens. Il serait également difficile de l’expliquer à tous les membres du PCC qui ont travaillé sans relâche pour défendre le Parti et ses politiques.

 

Certes, Omicron était différent. Mais dans un pays qui accorde une telle importance au fait de sauver la face, le gouvernement avait besoin d’autres prétextes pour assouplir sa politique sanitaire. Les récentes manifestations contre les mesures de confinement – alimentées par des frustrations profondes et accumulées – lui en ont fourni un. Les cas se multiplieront et le système de santé sera mis à rude épreuve, mais les voix des citoyens auront été entendues.

 

Cela ne veux pas dire que le gouvernement chinois tolérera de nouvelles manifestations. Au contraire, il agira fermement pour les réprimer. Les autorités ont déjà interdit de nombreux réseaux sociaux, craignant qu’ils facilitent un soulèvement similaire à ceux qui ont éclaté dans le monde arabe il y a une décennie. Le fait que les manifestants aient quand même pu organiser des rassemblements dans plusieurs grandes villes laisse à penser qu’un contrôle encore plus strict des réseaux sociaux se profile.

 

Le 20e Congrès du Parti communiste chinois d’octobre dernier a mis l’accent sur « une application intégrale, précise et globale du nouveau concept de développement » en tant que principale priorité du Parti « pour la gouvernance et le grand renouveau de la nation chinoise ». Pourtant, l’économie chinoise stagne. La croissance du PIB du pays n’a été que de 3 % aux trois premiers trimestres de 2022, le taux le plus faible (à l’exception de 2020, année du début de la pandémie) depuis le lancement par Deng Xiaoping de la politique économique « de réforme et d’ouverture » il y a plus de 40 ans.

 

Les moteurs de la croissance chinoise ont également changé. En 2019, la consommation des ménages avait le plus contribué à la croissance, avec un net recul des exportations. Aujourd’hui, le demande intérieure suit une trajectoire négative, ne serait-ce que parce que les mesures de confinement ont érodé la confiance et les revenus des consommateurs.

 

Lorsque le gouvernement peut donner l’ordre de verrouiller une ville entière à tout moment, les entreprises ne peuvent ni fonctionner, ni planifier correctement leurs activités. Les bénéfices des grandes entreprises industrielles chinoises ont chuté de 3 % entre janvier et octobre, par rapport à l’an dernier. Dans la région de Beijing, l’indice d’activité des directeurs d’achat s’est établi à 43,6 points, reflétant une contraction de l’activité manufacturière. Les perspectives de l’économie chinoise sont sombres.

 

Les dirigeants chinois sont bien conscients du fait que la stagnation de l’économie ébranlera la confiance de la population dans le gouvernement et sapera la légitimité du PCC. Donc, entre rétablir la croissance et maintenir la politique de plus en plus contestée du zéro Covid, la croissance l’emporte. La bonne nouvelle est que, compte tenu de la grande efficacité de mise en œuvre des mesures de relance, l’économie chinoise pourrait se redresser étonnamment vite.

 

Qian Liu est un économiste basé en Chine.

 

Copyright: Project Syndicate, 2022.
www.project-syndicate.org

 

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