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mercredi, avril 24, 2024

Analys. Le retour du renseignement américain

La tradition veut que lorsqu’un chef de poste peu aimé est muté dans une autre capitale, l’équipe qui a longtemps souffert de ses brimades organise le jour du décollage de l’avion une petite fête. Si la tradition est encore respectée, les bouchons de champagne ont dû sauter au siège de la CIA, lorsque Donald Trump a perdu sa réélection face à son rival démocrate Joe Biden. Il n’est un secret pour personne que les services du renseignement américains ont été dans la ligne de mire de l’un des présidents les plus ignorants, les plus paranoïaques et les plus atrabilaires qui aient occupé la Maison Blanche. Trump portait en bandoulière sa méfiance envers les agents et les analystes du renseignement, tout comme son mépris pour la sécurité nationale des États-Unis.

Biden, en revanche, qui fut vice-président et président de la commission des affaires étrangères du Sénat, est à tous égards un consommateur averti et attentif de renseignements. Ne serait-ce qu’en reprenant les rênes, son administration aura parcouru une bonne partie du chemin vers le rétablissement de rapports normaux avec la communauté du renseignement (et en règle générale avec le reste du gouvernement fédéral).

En outre, Biden a choisi une équipe expérimentée, dont les principaux membres se connaissent déjà et sont connus de la communauté du renseignement. Ils devront, dans leurs nouvelles fonctions, résoudre une quantité de problèmes. Comme lors de chaque transition, leur boîte à lettres doit déjà déborder de messages et de conseils. Mais la priorité immédiate sera, évidemment, de réparer les dégâts énormes causés par l’administration Trump, auprès des personnes et sur les relations qu’elles entretiennent entre elles dans tous les services du renseignement.

La manière chaotique et destructrice qui fut celle de Trump envers la politique étrangère aura des conséquences durables, et c’est un problème qu’auront évidemment à résoudre celles et ceux qui vont prendre en charge le renseignement. Attaques personnelles contre les dirigeants de l’OTAN, obséquiosité pour les dictateurs, retraits précipités des troupes, menaces de rompre les accords conclus avec l’Europe et l’Asie, Trump s’est aliéné les alliés des États-Unis et s’est attiré les louanges de leurs adversaires, laissant en lambeaux la collecte du renseignement, l’armée et les relations diplomatiques.

La détérioration des relations n’est pourtant qu’une partie du problème. En attaquant ses propres agents de renseignement et en utilisant leur travail à des fins politiciennes, Trump a sapé le moral et la crédibilité des services. À cet égard, le remplacement de John Radcliffe, incapable thuriféraire trumpiste, par Avril Haines, choisie pour occuper le poste de directrice du renseignement national (DNI) dans la nouvelle administration Biden, sera bienvenu. Mais les nouveaux chefs espions de la future équipe devront faire plus que fournir des produits de qualité. Il leur faudra rassurer leurs troupes et rappeler l’engagement de leurs agences envers les normes opérationnelles et éthiques qui ont fait leur réputation.

Les laquais de Trump continueront probablement à outrepasser leurs attributions avant de quitter la scène. Le mois dernier, par exemple, Ratcliffe a lancé, dans un commentaire publié par le Wall Street Journal, un avertissement hystérique à la Chine. Si personne ne doute qu’un régime chinois de plus en plus autoritaire et agressif demeurera l’un des grands dossiers de la sécurité nationale, l’intention de Ratcliffe était indubitablement politicienne. En alimentant d’affirmations crédibles au sujet des intentions chinoises sa rhétorique fanatisante, il a dévoyé le renseignement et sa fonction, sapant ainsi la crédibilité du premier comme de la seconde.

Cet usage politicien du renseignement sur la Chine n’a été ni la première ni la pire des infractions à la déontologie commises par ce serviteur de son maître. Son comportement irresponsable avait fait les gros titres en septembre, lorsqu’il a déclassifié des rapports laissant croire à une entente entre Hillary Clinton et le Kremlin lors des élections présidentielles de 2016, rapports d’ores et déjà considérés par les experts des services américains comme une probable tentative de désinformation russe. En passant outre ces réfutations et en divulguant malgré elles ces rapports, Ratcliffe a mis en danger les sources et les méthodes des services américains. Son intention était limpide : discréditer la communauté du renseignement ayant conclu que la Russie avait aidé en 2016 la campagne Trump.

Les bureaux de la direction nationale du renseignement ne sont pas la seule partie des services où l’équipe Biden doit rétablir des normes professionnelles. Des efforts importants devront se porter d’urgence sur la CIA et d’autres agences, après les pressions de Trump pour que soit révoqué le lanceur d’alerte de la CIA à l’origine du signalement qui a déclenché la procédure d’accusation à la chambre des Représentants, l’année dernière. Les sordides attaques menées par Trump et ses courtisans contre la protection juridique due au lanceur d’alerte n’ont suscité qu’un silence assourdissant chez les responsables du renseignement. Que Gina Haspel, la directrice de la CIA nommée par Trump, se soit tue en dit long, tout comme le mutisme d’autres chefs de l’Agence, en 2020, lorsque Trump a révoqué l’inspecteur général des services de renseignements, qui avait transmis le signalement du lanceur d’alerte au Capitole.

Pour les personnels de la CIA, les mots ont de l’importance. En se murant dans le silence, les chefs des services leur ont envoyé un signal délétère : les lois, le serment prêté lorsqu’on entre en fonction, le respect des institutions, tout cela est désormais lettre morte. Les chefs des renseignements de l’équipe Biden doivent communiquer le message opposé.

La valeur du renseignement pour les dirigeants politiques ne dépend pas uniquement de l’exactitude et de la pertinence des données brutes, mais aussi de l’objectivité de l’analyse qui leur donne sens. La qualité des renseignements relève donc de l’intégrité des agents qui les réunissent et les interprètent. Pour que ces agents demeurent attachés au respect des normes éthiques et professionnelles les plus exigeantes – quand bien même ils seraient témoins d’irrégularités dans leurs propres services – leurs dirigeants doivent être eux-mêmes irréprochables.

Voici près de trente-cinq ans, William H. Webster, ancien directeur du FBI, était nommé par Ronald Reagan à la direction de la CIA, suite au scandale Iran-Contra. Il eut, lors de son audition par le Sénat avant d’être confirmé, la déclaration liminaire la plus brève qu’on puisse imaginer. Citant sir William Stephenson, l’espion en chef du Royaume-Uni aux États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale, il dit ceci :

« Dans les arsenaux de plus en plus complexes qui s’accumulent de par le monde – écrivait Stephenson –, le renseignement est une arme essentielle, peut-être la plus importante. Mais, parce qu’elle est secrète, elle est aussi la plus dangereuse. Les dispositifs de protection qui permettent d’en prévenir une utilisation inappropriée doivent être examinés, réexaminés et strictement appliqués. Mais comme dans toute entreprise, la force de caractère et la sagacité de ceux qui en ont la responsabilité seront déterminantes. Pour des citoyens libres, les espoirs de résistance et de victoire reposent sur l’intégrité de leur autorité. »

Lui-même au-dessus de tout soupçon, Webster soulignait l’importance de l’intégrité. Les responsables sur qui s’est porté le choix de Biden auront, j’espère, la sagesse de l’imiter lorsque le Sénat les entendra et lorsque ces femmes et ces hommes s’adresseront directement aux agents du renseignement qui espèrent une nouvelle direction.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Kent Harrington, ancien analyste de haut niveau pour la CIA, fut membre du Conseil du renseignement national des États-Unis, chargé de l’Asie de l’Est, chef de poste en Asie et directeur des relations extérieures de l’Agence.

Copyright: Project Syndicate, 2021.
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2 تعليقات

  1. La CIA est une organisation plus que terroriste. Ce n’est pas une boite a lettre de collecte d’informations et d’analyse, non c’est une boite qui regroupe assassins et criminels, rien de plus.
    Al-Qaida et l’Etats Islamique sont entre autres les deux creations tres reussie de la CIA pour controller tous les pays dits « musulmans » . Depuis de debut de la fin de la guerre froide, avec Reagan et son equipe et jusqu’a Obama la CIA a detourner avec l’aide des maitres d’esclaves de la Seoudite l’energie de la jeunesse arabes et musulmanes non pour l’emancipations et le progres dans les pays musulamns sans les maitres d’esclaves, non ils les ont detourne’ vers la destructions de l’URSS et vers une auto-destruction avec Al-Qaida puis l ‘etats Islamique. La CIA a aussi cree de multitude organisations terroriste en Amerique latine, Afrique et en Asie.
    Trump a utiliser cette donne de la connivence de la CIA surtous avec Obama/Clinton dans la creation de Al-qaida et l’etats Islamique pour gagner les elections, et il ne pouvait pas faire marche arriere puisque les boys de la CIA lui en voulait pour cela. Ils ont contre lui la peur de vraiment « engage » contre le retour en force de la Russie en Syrie, Afghanistan, Libye, etc.
    Le monde a changer et la CIA a detruis ses cartes ont demontrons que c’est juste une organisations qui cree, gere, finance et soutiens des organisations terroristes a travers le monde.