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mardi, avril 16, 2024

Affrontements, violences et dérapages : Tinzaouatine, une explosion dangereuse et prévisible depuis plusieurs mois

Tinzaouatine, à la frontière entre le Mali et l’Algérie, est depuis ce lundi matin au coeur de l’actualité algérienne. Située au fin fond de l’Algérie, à plus de 2600 km au sud-est d’Alger, personne en Algérie ne parle d’ordinaire de cette localité saharienne et de ses habitants, les véritables oubliés de l’Algérie. 

Mais ce lundi, des manifestations de colère ont éclaté et des heurts opposant les forces de la gendarmerie nationale aux manifestants ont provoqué la mort d’une victime blessée par balles. Les images filmées par des témoins oculaires montrent un corps gisant à terre entouré de gendarmes armés. Les habitants insultent, lancent des invectives accusant les gendarmes d’avoir assassiné un manifestant pacifique. La polémique enfle rapidement notamment sur les réseaux sociaux. Le ministère de la Défense nationale réagit et apporte un démenti.

« Suite aux informations incitatives colportées via les réseaux sociaux, le 15 juin 2020, accusant des éléments de l’ANP d’avoir ouvert le feu sur des individus dans la localité frontalière malienne d’Ikhraben, limitrophe de la Commune de Tinzaouatine en 6ème Région militaire, le MDN dément formellement ces allégations infondées, et affirme que ces événements se rapportent à une tentative, menée par des personnes connues par leurs activités suspectes dans la contrebande et le crime organisé, visant à détériorer le mur de sécurisation, en appelant les habitants à la violence et à la manifestation, dans une manœuvre visant à libérer l’étreinte sur leurs intérêts dans la région », précise un communiqué du MDN.

La réaction de l’armée algérienne ne va pas calmer les esprits car les images des témoins oculaires montrent une toute autre réalité. Le corps de la victime gisait à terre pendant au moins 15 minutes. Blessée mortellement, la victime a été abandonnée par les forces de la gendarmerie sans lui apporter le moindre secours. Les images sont choquantes et déshonorent l’armée algérienne.

Le ministère de la Défense nationale a annoncé l’ouverture d’une enquête. Ceci dit, il n’a pas attendu les conclusions de cette enquête pour prendre position et défendre sa version des faits.

« Au moment où les éléments des Garde-frontières ont intervenu pour apaiser la situation, des coups de feu inconnus ont été ouverts depuis Ikhraben en direction des positions de nos Garde-frontières, ayant touché un individu parmi la foule, qui a été immédiatement évacué par les Garde-frontières pour être pris en charge par les services de santé, mais qui a succombé malheureusement à ses blessures », ajoute le communiqué.

« Suite à ces événements, le Haut Commandement de l’ANP a ordonné l’ouverture d’une enquête pour élucider les circonstances de cet incident, et appelle à la vigilance quant à ce genre de rumeurs et de désinformations, usées par des parties hostiles, visant à perturber la situation dans cette région », conclut le MDN.

Maintenant, que s’est-il réellement passé ? Il faut savoir qu’une véritable colère populaire s’est emparée de cette région depuis la fin du mois de main dernier. Cette colère a été causée par la pénurie chronique de l’eau potable. A Tinzaouatine, l’eau se vend 1500 Da les 1000 litres dans une région rongée par la pauvreté et la paupérisation.

Ce problème a pris une dimension inquiétante et dramatique lorsque les services de sécurité ont encerclé la ville par une barrière en fil barbelé qui a isolé les habitations de l’oued, principale source d’eau et de détente pour les familles. Cette barrière a suscité une énorme exaspération.

Des représentants de la société civile ont prévenu les autorités locales en adressant un courrier de réclamation au Wali de Tamanrasset le 11 juin dernier avec une liste de revendications surtout liées à l’encerclement. Le document a été diffusé massivement sur les réseaux sociaux.

Des associations locales ont même proposé  la construction d’un mur avec des portes pour facilité le déplacement de la population. Elles ont proposé aussi l’ouverture de passages pour les agriculteurs et les éleveurs dans les zones non urbanisées. Pour désamorcer cette bombe à retardement, la société civile réclament enfin l’ouverture de canaux de communications entre les notables locaux, la société civile avec les autorités et les forces de sécurité pour préserver la paix sociale de la région peuplée par plus de 5000 habitants.

Faute d’une médiatisation correcte de la situation qui prévaut sur place à Tinzaouatine, l’opinion publique algérienne méconnait totalement ce malaise qui risquait de dégénérer depuis plusieurs mois.

Pour rappel, en mars dernier, la population de Tinzaouatine a observé une grève de protestation contre la mort d’un jeune tué par les forces de l’ordre alors qu’il était à bord de son véhicule. Sept députés des wilayas de Tamanrasset, Illizi et Adrar avaient envoyé un courrier de protestation au Premier Ministre et avaient réclamé là aussi, une meilleure régulation des zones fermées par barbelés, un passage pour les agriculteurs et les éleveurs, de l’eau, une meilleure façon de faire de la part des autorités sécuritaires et enfin du développement local.
Force est enfin de constater que le régime algérien peine à réconcilier la nécessaire  protection des frontières, des biens et populations contre la menace terroriste venant du Sahel, avec les attentes des populations algériennes qui vivent aux frontières. Ce lundi 15 juin, le fossé de l’incompréhension s’est creusé tellement qu’une explosion de violences est devenue tout bonnement inévitable.
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